Le premier film solo de Terry Gilliam raconte les méfaits d’un redoutable dragon dans un monde moyenâgeux burlesque…
Membre discret des Monty Pythons, bien plus à l’aise derrière que devant la caméra, Terry Gilliam avait signé toutes les fameuses séquences animées agrémentant les sketches de sa troupe légendaire avant de passer à la mise en scène à grande échelle en co-réalisant Sacré Graal avec Terry Jones. Pour son premier long-métrage en solo, le trublion s’inspire d’un poème de Lewis Carroll pour reconstituer un monde médiéval duquel il évacue sciemment tout glamour. La photographie est délavée, les décors pauvres et noyés de brume, les personnages laids, sales et pétris de défauts. Voilà donc un tableau bien pathétique d’une humanité rustre que le cinéaste calque sur ses contemporains, le miroir déformant qu’il se plaît à tendre à ses semblables – ici et dans ses films suivants – n’ayant jamais été très flatteur. Jabberwocky est tourné à l’économie, avec un budget très modeste de 500 000 livres. Gilliam réutilise donc des décors conçus pour le Oliver de Carol Reed, recycle des costumes fabriqués pour Alfred le grand vainqueur des Vikings de Clive Donner, plante ses caméras dans plusieurs sites extérieurs du Pays de Galle et exploite au maximum de leurs possibilités les morceaux de château mis à sa disposition. Bref, il bricole avec les moyens du bord. Mais en ce domaine, Terry Gilliam s’est toujours montré surdoué.
Tout commence par la scène d’un braconnier récupérant son butin dans des bois brumeux. Soudain, une créature gigantesque (dont nous adoptons le point de vue sans la voir) s’empare de lui. Aussitôt, le malheureux s’élève dans les airs, la caméra s’accrochant à lui comme le fera plus tard Sam Raimi avec Bruce Campbell dans le prologue délirant d’Evil Dead 2. Puis son cadavre est rejeté sur le sol, la cage thoracique à l’air ! Au plus profond de l’âge des ténèbres que décrit Jabberwocky, un monstre carnivore ravage ainsi les domaines du roi Bruno le Douteux (Max Wall). Renié par son père pendant qu’il rend son dernier souffle, le jeune et innocent Dennis Cooper (Michael Palin), apprenti-tonnelier, décide de quitter la campagne pour tenter sa chance à la cour de Bruno, afin de revenir fortuné et de demander la main de sa bien-aimée, l’obèse et ingrate Griselda Fishfinger (Annette Badland) qui ne lui rend guère son affection. Mais lorsqu’il gagne le royaume, il se heurte à l’animosité générale de la population et aux appétits carnivores du gigantesque Jabberwocky…
Drôle de bête
Même si Terry Gilliam a toujours tenu à positionner ce film comme une création distincte de ses travaux collectifs avec les autres membres de son ancienne troupe, au point de faire retirer toute allusion aux Monty Pythons sur le matériel publicitaire, le sens de l’absurde hérité de ses frasques passées est toujours là. L’homme qui décrète dans les ruelles du château à quel moment débute l’heure de pointe ou les chevaliers qui jouent à cache-cache entre les tentes semblent ainsi s’être échappés du Monty Python’s Flying Circus. Il est donc difficile de ne pas penser aux autres films du groupe, et notamment Sacré Graal avec lequel Jabberwocky entretient de nombreux points communs. Mais la personnalité de Gilliam affleure malgré tout, ne serait-ce qu’à travers ses moqueries frontales de la bigoterie religieuse. Le dernier acte du film, au cours duquel Michael Palin chevauchant un âne devient l’écuyer du champion du roi pour l’aider à affronter le monstre légendaire, annonce quant-à-lui l’imagerie du Don Quichotte après lequel courra Terry Gilliam pendant une bonne partie de sa carrière jusqu’à en tourner enfin sa propre version en 2018. Lorsque le monstre s’offre enfin à la caméra, il déçoit nos attentes. Beaucoup moins grand qu’on l’imaginait et limité dans ses mouvements (c’est un acteur costumé qui l’incarne), c’est un bipède au design étrange muni de serres de rapace, d’un grand bec crochu et d’une tête encadrée de cornes de bélier, tandis qu’une troisième excroissance osseuse se dresse sur le sommet de son crâne. Ses ailes de chauve-souris abîmées se déploient et son long cou s’étire, mais sa morphologie exacte n’est pas facile à appréhender à cause de la pénombre et de la fumée qui nimbent la séquence. Ah, si seulement l’équipe du Dragon du lac de feu avait pu s’occuper de créer cette bête ! Mais le film souffre surtout d’un rythme languissant et d’enjeux mal définis, les saynètes drôles et absurdes concoctées par Gilliam ne suffisant pas à enrichir son intrigue filiforme. On note que le redoutable « Guerrier Noir » est incarné par David Prowse, qui jouait la même année Dark Vador dans La Guerre des étoiles.
© Gilles Penso
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