DÉVIATION MORTELLE (1981)

Dans ce slasher hitchcockien, Stacy Keach incarne un routier confronté à un tueur en série qui se déplace en camionnette…

ROAD GAMES

 

1981 – AUSTRALIE

 

Réalisé par Richard Franklin

 

Avec Stacy Keach, Jamie Lee Curtis, Mario Edward, Grant Page, Thaddeus Smith, Steve Millichamp, Alan Hopgood, John Murphy, Bill Stacey, Robert Thompson

 

THEMA TUEURS

Alors qu’il est en plein tournage de son thriller parapsychologique Patrick, le réalisateur Richard Franklin pense déjà à son film suivant : un suspense hitchcockien mâtiné de road movie. Il fait part de cette envie à son scénariste Everett de Roche (Long week-end, Harlequin) en lui suggérant de revoir Fenêtre sur cour pour y puiser des idées. C’est aux îles Fidji, pendant les prises de vues du Lagon bleu dont il est co-producteur, que Franklin finalise avec De Roche le script de ce qui deviendra Road Games, alias Déviation mortelle. Dans le rôle principal d’un routier témoin de ce qui ressemble à une série de meurtres, le réalisateur pense à Sean Connery. Hélas, le salaire exigé par l’ex-James Bond est trop élevé. Le plan B sera de très haute tenue : Stacy Keach (inoubliable dans Les Flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer). Très investi dans son rôle, le futur Mike Hammer du petit écran apprend pour les besoins du film à conduire un semi-remorque à 16 vitesses. Pour lui donner la réplique, Franklin envisage l’actrice australienne Lisa Peers, mais les distributeurs américains insistent pour avoir une co-vedette venue des États-Unis. Le cinéaste opte donc pour Jamie Lee Curtis, qu’il a particulièrement appréciée dans le Fog de John Carpenter. Férus de clins d’œil cinéphiliques, Franklin et De Roche offrent à la comédienne une réplique qui rend hommage à son propre père, Tony Curtis, en la faisant mentionner l’étrangleur de Boston… que Curtis incarna justement en 1968.

La double présence en tête d’affiche de Stacy Keach et Jamie Lee Curtis – l’un associé aux polars, l’autre aux slashers – est représentative de la nature hybride du film, en équilibre instable entre ces deux genres cinématographiques qu’il mixe sans toutefois se conformer pleinement à leurs codes. D’où le sentiment d’une œuvre finalement assez insaisissable, où viennent aussi se mêler des éléments de comédie, de western et même de chronique sociale. Keach incarne donc Quid, un routier sympathique qui dort souvent dans son camion, joue de l’harmonica, cite les passages de ses lectures préférées, invente des vies aux automobilistes qu’il aperçoit furtivement sur la route et partage sa solitude avec son chien fidèle Boswell. L’homme est attachant, un brin excentrique, suffisamment en marge pour devenir l’archétype idéal du « faux coupable » cher à Hitchcock. C’est en effet lui le suspect numéro un d’une série de meurtres qui surviennent à proximité de ses propres escales. Pour se disculper, il va devoir confondre le véritable assassin, un psychopathe qui se déplace dans une camionnette verte. Aux côtés de Quid, l’auto-stoppeuse Pamela (Curtis) est prête à se jeter dans la gueule du loup pour l’aider à identifier ce « tueur des routes ». Bien sûr, rien ne se passera comme prévu…

Fenêtre sur route

Les hommages hitchcockiens sont légion dans le film. D’emblée, Quid se comporte comme le James Stewart de Fenêtre sur cour, observant aux jumelles le locataire provisoire d’un motel qu’il pense être un tueur en série. Lorsque Pamela accepte de servir d’appât, comment ne pas penser au personnage campé par Grace Kelly ? Son surnom dans le film est d’ailleurs « Hitch », diminutif de « hitchhiker » (« auto-stoppeur »), certes, mais aussi de Hitchcock. Pour enfoncer encore le clou, Franklin montre un magazine consacré au « maître du suspense » dans la cabine du camion de Quid. A cheval entre plusieurs univers, Déviation mortelle paie son tribut au cinéma d’horreur dès son entame, via cette séquence angoissante – presque onirique – dans laquelle des mains gantées manipulent une corde de guitare sur un fond immaculé et laiteux, puis s’en servent pour étrangler une jeune femme. Le trouble est accentué par le sentiment que la victime semble quasi-consentante, comme si nous avions affaire à un jeu érotique déviant sur le point de mal tourner. Mais la suite du métrage s’éloigne peu à peu des figures imposées du slasher pour prendre une tournure plus « légère », notamment à travers la relation ludique qui s’établit entre Quid et Hitch. La musique de Brian May revient régulièrement évoquer ce premier meurtre – à travers l’usage d’harmoniques de guitare presque dissonantes – et la mise en scène elle-même place souvent le film à la lisière du Fantastique : ces éclairs qui frappent le ciel nocturne et font apparaître par intermittence la camionnette du tueur au milieu du désert, ou ces deux voix intérieures qui s’entremêlent dans la tête de Quid jusqu’à la schizophrénie. C’est principalement grâce au savoir-faire déployé dans ce thriller routier que Richard Franklin se verra confier l’année suivante la mise en scène de Psychose 2.

 

© Gilles Penso


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