LES CRIMES DU FUTUR (2022)

David Cronenberg replonge dans ses premières obsessions et transforme les mutations anatomiques en œuvres d’art…

CRIMES OF THE FUTURE

 

2022 – CANADA / FRANCE / GB / GRÈCE

 

Réalisé par David Cronenberg

 

Avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux, Kirsten Stewart, Don McKellar, Scott Speedman, Welket Bungué, Lihi Kornowski, Yorgos Karamihos

 

THEMA MUTATIONS I FUTUR I SAGA DAVID CRONENBERG

En 1970, David Cronenberg réalisait son second long-métrage, Crimes of the Future, l’histoire d’un dermatologue fou disparaissant sans laisser de traces après la propagation d’une maladie catastrophique causée par des produits cosmétiques. Contrairement aux apparences, le Crimes of the Future de 2022 n’en est pas un remake ni même une variante mais un scénario totalement original. Il faut croire que ce titre plaisait à Cronenberg, puisqu’il faillit déjà l’utiliser pour eXistenZ en 1999. La première esquisse des Crimes du futur version 2022 est d’ailleurs née vingt ans plus tôt, le projet initial prévoyant Nicolas Cage puis Ralph Fiennes dans le rôle principal (lequel tiendra finalement la vedette de Spider). Le projet redémarre finalement beaucoup plus tard avec en tête d’affiche Viggo Mortensen, que Cronenberg a déjà dirigé dans A History of Violence, Les Promesses de l’ombre et A Dangerous Method. L’ancien Aragorn du Seigneur des Anneaux, dont le visage présente de plus en plus de ressemblances physiques avec celui d’Ed Harris, entre à merveille dans l’univers étrange du cinéaste, visiblement heureux de renouer avec les univers et les thématiques qui le propulsèrent jadis sur le devant de la scène.

Comme son titre l’indique, Les Crimes du futur est un récit d’anticipation, même si peu d’indices nous permettent de placer un quelconque curseur temporel. Plusieurs catastrophes écologiques semblent tout de même avoir frappé notre planète, symbolisées par ces images récurrentes de grands navires commerciaux échoués qui barrent l’horizon de leur sinistre carcasse. Dans cette « post-apocalypse minimaliste », l’être humain est en train de muter. De nouveaux organes apparaissent, la douleur et les infections n’existent plus et les comportements s’adaptent à ces changements. En première ligne de ce « syndrome d’évolution accélérée », Saul Tenser (Mortensen) est un artiste conceptuel dont le numéro consiste, avec sa partenaire Caprice (Léa Seydoux), à mettre en scène la métamorphose de son corps au cours de spectacles d’avant-garde très prisés. Capable de créer de nouveaux organes, il les extirpe au cours de séances de « chirurgie artistique » spectaculaires. Timlin (Kristen Stewart), une enquêtrice du Bureau du Registre National des Organes, suit de près leurs pratiques qui la fascinent au plus haut point. « La chirurgie est le nouveau sexe » finira-t-elle par avouer… Mais dans un monde où l’intégrité du corps humain est devenue toute relative, comment contrôler les dérives ? Et jusqu’où peut-on aller ?

Chirurgie artistique

Les Crimes du futur prend la tournure d’une œuvre-somme entrant en résonnance avec la grande majorité des films précédents du cinéaste. Comment ne pas penser à Faux semblants (avec ses instruments gynécologiques dignes de Giger et cette évocation de « concours de beauté d’organes internes »), à Videodrome et ses mutations corporelles, à Rage et Chromosome 3 qui voyaient la naissance de nouveaux organes et de nouvelles tumeurs, à Crash et ses amoureux des corps abîmés et morcelés, à eXistenZ et ses appareils de connexion bio-mécaniques ? Même La Mouche semble être convoquée à travers ces bourdonnements incessants qui accompagnent chacun des pas Tenser. Ce plongeon sans frein dans ses obsessions première offre à Cronenberg l’occasion d’une réflexion sur ses propres créations, érigeant frontalement la discipline du « Body Horror » en forme d’art. Le gore n’est plus du gore mais du Pablo Picasso, du Francis Bacon, du Jérôme Bosch. De fait, les instruments chirurgicaux futuristes qui ouvrent le corps de Tenser pour révéler ses organes sont filmés comme les rideaux d’une scène de théâtre s’écartant pour révéler le spectacle. Le film est donc gorgé d’images horrifico-surréalistes, d’altérations impensables de la morphologie humaine, aux accents d’une musique envoûtante du fidèle Howard Shore laissant la part belle aux synthétiseurs sans se priver pour autant de l’orchestre. Plus le film avance, plus l’état de Tenser semble s’aggraver. Sa voix s’éraille, sa démarche claudique. Caché sous une capuche sombre ne laissant plus paraître que ses yeux, il est l’ombre de lui-même, une sorte de figure de monstre pathétique à mi-chemin entre le Fantôme de l’Opéra et l’homme au masque de cire. Son destin semble inéluctable, sa fin proche, jusqu’à un nouvel état peut-être… Jusqu’à « l’avènement de la nouvelle chair », pourquoi pas ?

 

© Gilles Penso


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