La patronne d’une petite laverie se retrouve plongée dans une multitude de mondes parallèles, face à plusieurs versions alternatives d’elle-même…
EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE
2022 – USA
Réalisé par Daniel Kwan et Daniel Scheinert
Avec Michelle Yeoh, Stephanie Hsu, Ke Huy Quan, James Hong, Jamie Lee Curtis, Tallie Medel, Jenny Slate, Harry Shum Jr., Biff Wiff
Le concept des mondes parallèles est loin d’être nouveau, mais son intégration dans le Marvel Cinematic Universe l’a replacé sous le feu des projecteurs. Depuis que Spider-Man, Docteur Strange et leurs amis costumés se promènent d’un monde à l’autre pour croiser des versions alternatives d’eux-mêmes et de leur entourage, le multiverse est à la mode. Nous étions forcément curieux de voir à quelle sauce les trublions Daniel Kwan et Daniel Scheinert allaient accommoder ce motif scénaristique. Ceux qui découvrirent leur première œuvre collective, l’inclassable Swiss Army Man mettant en scène un cadavre pétomane incarné par Daniel Radcliffe (!), étaient perplexes. D’emblée, Everything Everywhere All at Once se montre rétif aux étiquettes, mêlant en coulisses des personnalités disparates. À la production, nous trouvons les frères Russo, qui avaient justement su redynamiser l’univers Marvel en revisitant les franchises Captain America et Avengers. Le haut de l’affiche est occupé par la très charismatique Michelle Yeoh, star incontournable du cinéma d’action et d’arts martiaux dans les années 90 et 2000 (Tigre et dragon, Demain ne meurt jamais et tant d’autres). À ses côtés, nous retrouvons avec une surprise mêlée de nostalgie Ke Huy Quan, l’inoubliable Demi-Lune d’Indiana Jones et le temple maudit qui excelle ici dans un registre multiple. Au rayon des antagonistes, Jamie Lee Curtis nous offre une prestation à contre-emploi particulièrement savoureuse. Sans oublier le vénérable James Hong (Blade Runner, Les Aventures de Jack Burton), dans un rôle gorgé d’ambiguïté. Mais ce cocktail étrange ne risquait-il pas de sombrer dans l’indigestion ?
Au début, avouons-le, nous sommes un peu circonspects. Sur un rythme soutenu qui laisse à peine le temps de se familiariser avec les personnages, leur environnement et leurs problèmes, les Daniels nous présentent Evelyn Wang (Michelle Yeoh), patronne débordée d’une petite laverie, Waymond (Ke Huy Quan), son futur ex-mari très attentionné, Joy (Stephanie Hsu), sa fille de plus en plus en décalage avec cette famille « old school », et Gong Gong (James Hong), son père vieillissant dépassé par les événements. Tout ce beau monde se précipite au centre des impôts pour justifier un certain nombre de dépenses auprès d’une contrôleuse acariâtre (Jamie Lee Curtis). Cette situation étant installée, la science-fiction s’invite sans préavis. Evelyn découvre en effet l’existence d’Alpha Waymond, une version alternative de son époux qui lui fait découvrir le monde stupéfiant des univers parallèles et bouleverse sa vie à tout jamais. Les premières péripéties du film sont un peu laborieuses dans la mesure où le scénario est contraint de se surcharger d’explications et de modes d’emplois permettant d’appréhender les mécanismes du multiverse. Mais il faut s’accrocher et entrer dans la danse. En effet, passée cette entame, Everything Everywhere All at Once nous transporte sur un rollercoaster vertigineux proprement grisant. En cours de route, une idée troublante s’esquisse : et si tous ces moments fugitifs où nous sommes perdus dans nos pensées, victimes d’un geste maladroit ou saisis d’une impression étrange s’expliquaient par un effet d’écho avec un ou plusieurs mondes parallèles ?
Le choc des mondes
Rien ne ressemble à ce film, même s’il n’est pas interdit de penser aux univers fêlés de Charles Kaufman, aux trouvailles visuelles de Michel Gondry ou à la liberté de ton de Spike Jonze. Il fallait oser un tel mélange des genres : le kung-fu, la comédie, l’action, l’émotion, la parodie (la relecture de Ratatouille est invraisemblable !), la mise en abîme (Michelle Yeoh incarnant quasiment son propre rôle dans un des mondes alternatifs), l’absurde (le monde des mains-saucisses), l’élégance, la vulgarité… L’alchimie fonctionne pourtant, par miracle, parce que toutes ces facettes finissent par entrer en cohérence et se répondre. Derrière cette profusion d’idées contraires, d’intrigues parallèles, d’univers mitoyens et de péripéties déjantées, une histoire simple et touchante affleure, celle d’une mère peinant à renouer le lien avec sa fille. Tout finit par tourner autour de cette problématique : l’acceptation de voir sa progéniture changer sans forcément se conformer aux attentes que les parents avaient longuement formulées, la capacité à lâcher prise et à perdre le contrôle… Si le film réussit à nous saisir avec autant de justesse, c’est parce que ses excès ne sont qu’un leurre masquant à peine ce récit à échelle humaine, ces sentiments universels et ces préoccupations palpables. Là où Doctor Strange in the Multiverse of Madness s’enivrait de ses propres audaces sans vraiment rien raconter, Everything Everywhere All the Time nous parle de nous-mêmes, de nos peurs, de nos faiblesses et de nos espoirs.
© Gilles Penso
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