LA TOMBE DE LIGEIA (1964)

La dernière adaptation d’Edgar Poe réalisée par Roger Corman met en scène un Vincent Price plus taciturne et sinistre que jamais…

THE TOMB OF LIGEIA

 

1964 – GB

 

Réalisé par Roger Corman

 

Avec Vincent Price, Elizabeth Shepherd, John Westbrook, Derek Francis, Oliver Johnston, Richard Vernon, Frank Thornton, Ronald Adam, Denis Gilmore

 

THEMA MORT I MAMMIFÈRES I SAGA EDGAR POE PAR ROGER CORMAN

Pour sa toute dernière adaptation des écrits d’Edgar Allan Poe, achevant un remarquable cycle de huit longs-métrages devenus des modèles du genre, Roger Corman souhaite sortir un peu de sa zone de confort. Au lieu de tourner quasi-intégralement dans des décors en studio, il se met en quête de sites extérieurs pour un grand nombre de séquences et porte son choix sur le prieuré de Castle Acre, dans le Norfolk, un monument du patrimoine national qui offre un panorama étrange et spectaculaire convenant parfaitement à l’approche visuelle qu’il a en tête. Le film se tourne donc en Angleterre sur un planning plus long qu’à l’accoutumée (25 jours au lieu des 15 jours nécessités par les films précédents), Corman attribuant ce rallongement considérable de la durée des prises de vues aux pauses thé que les équipes anglaises s’octroient à heure fixe ! L’Angleterre offre au film une patine intéressante, le cinéaste promenant sa caméra non seulement à Castle Acre mais aussi à Stonehenge, dans l’église évangéliste de St. John et sur la plage de Polzeath. Quant aux scènes de studio (plus importantes à partir de la seconde moitié du métrage), elles sont tournées à Shepperton.

Écrire le scénario de la Tombe de Ligeia n’est pas une mince affaire pour Robert Towne (futur auteur de Chinatown, Greystoke et La Firme), dans la mesure où la nouvelle d’Edgar Poe est courte. Il rajoute donc de nombreuses péripéties, piochant des idées dans d’autres œuvres de l’écrivain. Dans le rôle principal du film, on trouve sans surprise Vincent Price, même si ce n’était pas le choix initial de Corman et Towne. Pour incarner Verden Fell, un être mélancolique terriblement marqué par la mort de son épouse Ligeia, les deux hommes imaginent au départ un comédien plus jeune. Richard Chamberlain est l’un de leurs choix idéaux. Mais le financement du film ne se fait qu’avec Price en tête d’affiche. C’est donc lui qui hérite du rôle. Les yeux cachés par des lunettes de soleil, l’habit noir, le visage austère, la voix basse, les gestes lents, il campe là l’un de ses personnages les plus sinistres et les plus taciturnes. La pétillante aristocrate Rowena (Elizabeth Shepherd) tombe pourtant sous son charme et finit par l’épouser. Mais leur idylle est troublée par des événements étranges. Le manoir qu’ils habitent semble en effet possédé par l’esprit de Ligeia, qui donne parfois la sensation d’habiter le corps du chat noir de la maison…

La féline

L’ambiance poétique macabre de La Tombe de Ligeia est l’un de ses atouts majeurs, témoignant ainsi d’une belle fidélité à l’esprit – sinon à la lettre – d’Edgar Poe. L’intrigue prend du temps pour se mettre en place, s’arrête sur des tirades lugubres déclamées par Vincent Price, s’attarde sur les ruines surréalistes de cette fameuse abbaye, paresse le long des murs emplis de toile d’araignée du manoir Fell qui s’inscrit dans la même lignée que les autres maisons hantées du cycle Corman/Poe. Le récit prend une autre tournure lorsque la jeune épouse prend possession des lieux. Là, l’ombre de Rebecca plane sur l’œuvre, la présence envahissante de l’ancienne épouse se faisant ressentir avec force et insistance. D’autant que le fameux chat qui traîne partout fait de véritables crises de jalousies à Rowena, n’hésitant pas à lui sauter dessus et à la griffer sauvagement. Sans doute est-ce une allusion au « Chat noir » de Poe. Des cauchemars nocturnes étranges, des phénomènes inexpliqués (la brosse de la blonde épouse qui se couvre de cheveux noirs), une séance d’hypnose éprouvante achèvent de construire un climat oppressant qui s’achemine vers une révélation étonnante. Jouant souvent avec les flammes à l’avant-plan de ses compositions (tour à tour menaçantes, destructrices ou purificatrices), Corman a la bonne idée de faire interpréter les deux épouses (la défunte et la vivante) par la même comédienne, augmentant le trouble d’une histoire qui se termine bizarrement. Car on sent bien que le scénario semble hésiter entre plusieurs thèmes pour finalement les embrasser tous, finalement plus attaché à son atmosphère qu’à sa cohérence.

 

© Gilles Penso


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