Une jeune infirmière est persuadée que la patiente dont elle s’occupe est possédée par le Mal et qu'elle doit sauver son âme…
SAINT MAUD
2019 – GB
Réalisé par Rose Glass
Avec Morfydd Clark, Jennifer Ehle, Lily Knight, Lily Frazer, Turlough Convery, Rosie Sansom, Marcus Hutton, Carl Prekopp, Noa Bodner, Takatsuna Mukai
Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître. Saint Maud est en effet le premier long-métrage de Rose Glass, et son impact fut tel qu’il monta quasiment sur le piédestal des classiques immédiats. Après avoir étudié le cinéma et la vidéo au College of Communication de l’Université des Arts de Londres, où elle tourna ses premiers courts-métrages personnels, Rose Glass côtoya l’ambiance des plateaux de tournage professionnels en jouant les coursières. Au sortir de la très prestigieuse NFTS (National Film and Television School), elle dirigea un court-métrage plus abouti que les précédents, Room 55, qui pava progressivement la voie de Saint Maud. Le scénario de ce projet de long s’écrit par bribes dans sa tête puis sur le papier et connaît de nombreuses itérations. Dans un premier temps, l’histoire personnelle et le passé de son personnage principal sont très détaillés. Trop sans doute, d’autant que la jeune réalisatrice constate alors de fortes similitudes avec Carrie. Elle revoit donc sa copie plusieurs fois jusqu’à aboutir à la version qu’elle se sent prête à tourner. Le producteur Oliver Kassman, impressionné par Room 55, se lance dans l’aventure de ce premier long-métrage, entièrement financé par Film4 et le British Film Institute.
Morfydd Clark, qui fut l’une des dernières comédiennes à passer une audition pour le film, entre avec un naturel déconcertant dans la peau de Maud, infirmière dans un hospice récemment convertie au catholicisme romain. Après avoir quitté ses fonctions suite à un traumatisme qui nous est à peine suggéré, elle décide de travailler dans le privé et se met au service d’Amanda (Jennifer Ehle), une ancienne danseuse vedette frappée par une maladie lente et incurable. Maud fait du mieux qu’elle peut pour soigner Amanda, dont les dernières bribes de vie mondaine la poussent à se livrer à quelques excès du côté de l’alcool et du sexe. Des excès que Maud réprouve, bien sûr. Car sa bigoterie n’est pas une simple coquetterie. Maud dialogue régulièrement avec Dieu, persuadée d’avoir été placée sur Terre pour accomplir de grandes choses au nom du Seigneur. Et si elle comprend l’importance de prodiguer des soins palliatifs, elle sent bien qu’une mission plus importante l’attend. Ne s’agirait-il pas de sauver l’âme en perdition d’Amanda ? « Comment la frivolité pourrait-elle rivaliser avec la chaleur du Père céleste ? » lui demande un soir Amanda avec ironie, l’incitant à abandonner sa rigidité pour s’amuser un peu. C’est la goutte d’eau qui va faire déborder le vase…
Les voies du Seigneur…
Au départ, l’ambiance est feutrée, chaude et paisible. Mais l’on se doute bien que derrière cette accalmie couve une tempête. La grande force du film est de ne pas traiter Maud comme un être solitaire, triste et renfrogné. Lorsqu’on adopte son point de vue, on découvre une jeune fille épanouie à sa manière, car elle semble vivre une étrange histoire d’amour avec la voix qui résonne dans sa tête : celle de Dieu. À l’instar d’une Benedetta, elle dialogue avec cette présence céleste, cherche à percer ses intentions, même si elle les sait impénétrables. Malgré ce mysticisme exacerbé, Maud n’est finalement pas différente de ses semblables : elle cherche un but à sa vie, une raison à sa présence ici-bas et une relation épanouie – fut-ce avec le Seigneur. Mais le rapport qu’elle entretient avec la religion n’a rien de serein. Elle se cherche, s’inflige des autoflagellations de plus en plus douloureuses. Parfois, des crises la saisissent et la plongent dans une sorte d’état second, quelque part entre l’agonie et l’extase. Dans ces moments-là, on la croirait possédée. Puis viennent les signes, les hallucinations et les voix… Nimbé d’une photographie somptueuse, porté à bout de bras par une comédienne principale en état de grâce, Saint Maud est une œuvre d’exception, dont les stigmates sur les spectateurs perdurent longtemps après son générique de fin.
© Gilles Penso
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