Un grand classique du cinéma expressionniste allemand, qui servira d’inspiration majeure au Frankenstein des studios Universal…
DER GOLEM : WIE ER IN DIE WELT KAM
1920 – ALLEMAGNE
Réalisé par Paul Wegener et Carl Boese
Avec Paul Wegener, Albert Steinrück, Lyda Salmonova, Ernst Deutsch, Hans Stürm, Max Kronert, Otto Gebühr, Dore Paetzold
THEMA SORCELLERIE ET MAGIE
La vieille légende du Golem, un être de glaise ramené à la vie par un rabbin de Prague pour secourir le peuple juif, inspire tant le cinéaste Paul Wegener qu’il lui consacrera trois films. Le premier, Le Golem, date de 1914, mais le réalisateur n’en est pas pleinement satisfait, à cause de nombreux compromis auxquels il doit se soumettre auprès de la compagnie de production. Le second, Le Golem et la danseuse (1917), utilise le célèbre mythe comme prétexte pour une comédie sentimentale. Ces deux films ont disparu à ce jour. Mais la troisième version est très probablement la plus intéressante, du moins celle que préfère Wegener, dans la mesure où elle s’efforce de traduire le plus fidèlement possible cette histoire mythique telle qu’il l’entendit en Tchécoslovaquie lorsqu’il tournait L’Étudiant de Prague. Paul Wegener s’implique pleinement dans Le Golem de 1920, le co-réalisant avec Carl Boese, écrivant le scénario à quatre mains avec Henrik Galeen et décidant même de jouer la créature lui-même. Subdivisé en cinq chapitres, le film est tourné dans les studios Tempelhof de Berlin, où l’architecte et designer Hans Poelzig édifie des décors stylisés qui ont marqué les mémoires.
Les premières images du film, dans lesquelles le Rabbi Loew observe la voûte stellaire du haut d’une tour aux formes griffues, nous offrent des tableaux féeriques pas très éloignée des facéties de Georges Méliès. Mais ensuite, c’est l’expressionnisme dans toute sa splendeur qui jaillit à l’écran, à travers les superbes décors tourmentés aux architectures tordues et courbes dans lesquels évoluent les personnages. Rien n’est rectiligne dans cette vision fantasmée du ghetto juif de Prague, contrairement au palais de l’empereur qui se soumet volontiers à une géométrie plus classique. Le film joue justement sur la rupture stylistique de ces deux univers. À la fois philosophe et magicien, Loew voit dans les étoiles l’annonce d’un grand danger pour son peuple. Or l’empereur Rodolphe II vient justement de publier un décret ordonnant aux Juifs de quitter la ville immédiatement. Pour protéger les siens, le vénérable rabbin s’appuie sur les préceptes de la kabbale et construit une massive statue d’argile, le Golem, qu’il va rendre vivante avec l’assistance d’un de ses étudiants. Mais pour y parvenir, il doit s’aider d’un vieux manuel de nécromancie et évoquer Astaroth, « le gardien du mot de la vie ».
Le gardien du mot de la vie
Des séquences de pure magie s’enchaînent alors : Loew qui trace avec une baguette un cercle imaginaire se transformant en rond de fumée, des feux follets qui s’agitent autour de lui, prélude au plongeon dans un monde parallèle effrayant. Car une tête blafarde et démoniaque flotte soudain dans les airs, celle d’Astaroth. Sa bouche crache bientôt de la fumée et délivre le mot magique : « Aemaet » (variante d’« Emeth » qui signifie « vérité » en hébreu). L’inventivité jaillit partout dans cette scène, couturée d’éclairs électriques dessinés à même la pellicule. La mise en scène étonnamment moderne de Wegener joue sur la profondeur de champ, notamment dans ce plan où Loew, après avoir installé le Golem avec son assistant au milieu de son atelier, vient tout près de la caméra pour déposer le mot magique dans l’étoile de David qu’il va ensuite placer sur la poitrine de la statue, le tout en plan-séquence. Et puis soudain, la statue ouvre ses yeux et tourne sa tête. Son regard semble autant effrayé que menaçant. Malgré son aspect monolithique, le monstre révèle une certaine sensibilité (il s’émeut en sentant une fleur) et ne laisse pas insensible les belles dames du palais qui lui font les yeux doux, subjuguées par la force qu’il dégage. L’influence de ce film sur le Frankenstein de James Whale est indiscutable. La démarche claudicante, les bottes surélevées, les gestes brusques, le regard enfantin, le grand incendie, la scène avec la petite fille, le motif du créateur perdant le contrôle de sa créature et bien sûr l’esthétique expressionniste, beaucoup de choses évoquent le futur classique de James Whale. La photographie du Golem est d’ailleurs signée Karl Freund, qui travaillera plus tard pour le studio Universal, signant la lumière de Dracula avant de réaliser La Momie.
© Gilles Penso
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