David Lynch prolonge sa série culte en racontant les événements étranges survenus juste avant la mort de la lycéenne Laura Palmer…
TWIN PEAKS, FIRE WALK WITH ME
1992 – USA
Réalisé par David Lynch
Avec Sheryl Lee, Ray Wise, Mädchen Amick, Dana Ashbrook, David Bowie, Heather Graham, Kyle MacLachlan
THEMA TUEURS
Lorsqu’elle commence sa diffusion en avril 1990, la série TV Twin Peaks (rebaptisée Mystères à Twin Peaks en nos contrées) fait l’effet d’une bombe. Mixage improbable entre l’intrigue policière, le soap opéra et l’horreur surréaliste, ce programme ne ressemble à rien de connu. Créateurs de ce show hors du commun, David Lynch et Mark Frost y content l’enquête de l’agent du FBI Dale Cooper (Kyle MacLachlan) pour élucider la mort inexpliquée d’une lycéenne apparemment sans histoire, Laura Palmer (Sheryl Lee), dans la petite ville imaginaire de Twin Peaks située à la frontière entre le Canada et les États-Unis. La série s’arrête en juin 1991, laissant ses nombreux fans sur le carreau. Pour prolonger le plaisir et offrir aux amateurs de nouvelles pièces de ce puzzle devenu culte, Lynch décide d’en tirer un long-métrage pour le cinéma qui raconte les événements survenus avant le premier épisode. Twin Peaks version cinéma s’attarde donc sur les derniers jours de l’énigmatique et tourmentée Laura Palmer. Cette « prequel » n’est pas du goût de certains comédiens originaux qui refusent de s’y impliquer. Sherilyn Fenn, par exemple, formidable interprète de l’étudiante Audrey Horne, juge que le scénario s’égare et passe son tour, tout comme Richard Beymer (qui jouait son camarade Benjamin Horne). Leurs personnages disparaissent donc du film. Lara Flynn Boyle (Donna Hayward) ne participe pas non plus au film (officiellement pour des raisons de planning), son rôle étant donc repris par Moira Kelly. Quant à Kyle MacLachlan, il hésite longtemps et n’accepte qu’à condition de réduire comme peau de chagrin les interventions de l’agent Dale Cooper.
Ce boycottage du film par plusieurs de ses acteurs majeurs était-il justifié ? De prime abord, le projet était pourtant alléchant. Tout commence par la découverte du corps de Teresa Banks, une sans-abri de dix-sept ans retrouvée enveloppée dans du plastique. L’agent du FBI Chester Desmond (Chris Isaak) et l’expert médico-légal Sam Stanley (Kiefer Sutherland) mènent l’enquête dans la petite bourgade de Deer Meadow. Un an plus tard, nous revoilà plongés dans la ville de Twin Peaks. Le portrait qui nous est dressé de Laura Palmer est loin d’être celui d’une adolescente tranquille. Fragile, blessée, accro à la cocaïne, menacée par son père Leland (Ray Wise), elle prépare lentement mais sûrement sa chute, tandis que de sinistres forces surnaturelles semblent sur le point de se déchaîner… La noirceur est donc omniprésente dans Twin Peaks – Fire Walk With Me, loin des touches d’humour décalé qui ponctuaient régulièrement la série. « On dit que tous les arts, quels qu’ils soient, sont les reflets de notre monde », nous disait à ce propos David Lynch. « Or nous savons tous que nous vivons dans un monde habité par la peur, la négativité, les batailles, les tourments. Alors les histoires portent la même chose. » (1)
Tableaux surréalistes
Hélas, ce qui faisait le charme de la version petit écran de Twin Peaks, c’est-à-dire la dissémination d’éléments insolites, surnaturels ou angoissants dans une intrigue sentimentalo-policière traditionnelle, s’évapore complètement dans l’adaptation cinématographique. Partant du principe que le spectateur connaît les personnages, Lynch s’amuse donc à accumuler les tableaux surréalistes sans se soucier de les rattacher à des situations réelles et tangibles. Or le Fantastique, lorsqu’il ne côtoie pas le réel, perd de sa force et risque de sombrer dans la totale incohérence. C’est bien le cas ici. En ne proposant aucune réalité palpable au public, Lynch se dissocie de lui et le laisse perplexe, comme aux temps expérimentaux d’Eraserhead. Si certaines scènes du film sont indiscutablement éprouvantes, en particulier la mort de Laura Palmer, elles n’ont pas le même impact que leurs équivalentes télévisées, pourtant moins intenses du point de vue de la mise en scène. Bob, en particulier, le Mal personnifié, n’est jamais aussi terrifiant que dans la série. La déception est grande, et les guest-stars qui agrémentent le film (David Bowie, Chris Isaak, Kiefer Sutherland, Harry Dean Stanton) n’y changent rien. D’autres films tournant autour des mêmes personnages trottaient dans la tête de David Lynch et du scénariste Robert Engels, mais l’échec commercial de Twin Peaks – Fire Walk With Me annula ces projets. Twin Peaks se prolongera sur les petits écrans sous forme d’une troisième saison en 2017.
(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 2007
© Gilles Penso
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