Le super-héros de Gotham City renaît une nouvelle fois de ses cendres sous les traits blafards d’un Robert Pattinson transfiguré…
THE BATMAN
2022 – USA
Réalisé par Matt Reeves
Avec Robert Pattinson, Zoe Kravitz, Paul Dano, Jeffrey Wright, John Turturo, Peter Sarsgaard, Andy Serkis, Colin Farrell, Jayme Lawson, Peter McDonald
THEMA SUPER-HÉROS I SAGA BATMAN I DC COMICS
L’homme chauve-souris de DC n’en finit plus de se noircir. En 1989, le Batman de Tim Burton nous offrait déjà la version la plus noire possible du justicier de Gotham. En reprenant le personnage à son compte, Christopher Nolan le noircissait davantage. Zack Snyder en rajoutait une couche quelques années plus tard. Voilà maintenant que Matt Reeves intensifie encore cette noirceur. Mais peut-on faire plus noir que noir ? Comme les lessives qui lavent « plus blanc que blanc », point de mire des blagues de Coluche ? Force est de constater que Matt Reeves sait ce qu’il fait. Son intention n’est visiblement pas de surenchérir sur ses aînés mais de proposer une version alternative des aventures du Dark Knight. D’ailleurs, le Batman cinématographique ne semble pouvoir fonctionner qu’à travers des coexistences parallèles parfois contradictoires. En l’espace de dix ans seulement, nous aurons eu droit à celui de The Dark Knight Rises, qui n’est pas du tout le même que Batman V. Superman, ni vraiment celui qui apparaît furtivement dans Suicide Squad, ni bien sûr celui qu’on voit naître dans la série Gotham et dans Joker, ni même celui du Justice League de Snyder. Pour nourrir sa vision personnelle, le réalisateur de Cloverfield n’a qu’un visage en tête : Robert Pattinson. Cette annonce a fait grincer de nombreuses dents, comme à l’époque où Burton imposait Michael Keaton. Mais face au film, les mâchoires se sont desserrées. L’Edward Cullen de la saga Twilight incarne à merveille cette version encore inédite du super-héros : un oiseau de nuit aux allures de rock-star désabusée qui vit à l’abri des regards indiscrets dans un manoir décrépi.
D’emblée, The Batman place au centre de son intrigue la question du point de vue. À travers une paire de jumelles, le spectateur espionne en caméra subjective les faits et gestes de la future victime d’un tueur en série. Cette scène trouve son écho un peu plus tard, si ce n’est que cette fois-ci c’est Batman qui joue les voyeurs en observant à la dérobée Selina Kyle, alias Catwoman. Un lien inconscient se tisse ainsi entre le héros et l’assassin, pôles opposés d’une même colère. Lorsque Batman dit à ses adversaires « Je suis Vengeance », le redoutable Riddler pourrait en dire tout autant. Car leurs ennemis sont finalement les mêmes : la corruption, le mensonge et la criminalité organisée. Et puisque les points de vue se brouillent, Matt Reeves opte pour une photographie extrêmement sombre, plongeant ses décors dans une pénombre quasi-permanente et les inondant sous des rideaux de pluie. Lorsque des faisceaux de lumière parviennent à se frayer un chemin dans les ténèbres, c’est pour nous éblouir. Même la grande poursuite automobile – morceau de bravoure du film – n’est lisible que par intermittence, obligeant les spectateurs à plisser les yeux pour comprendre ce qui se passe, sans pour autant que la fureur destructrice de ce chassé-croisé n’en soit amenuisée, la Batmobile s’érigeant quasiment en émule de l’Interceptor de Mad Max. Ce parti-pris artistique pousse le public à adopter le regard nyctalope de Bruce Wayne. Lorsque Bruce s’éveille au petit matin, il cache ses yeux derrière des lunettes de soleil. Car le Batman incarné par Robert Pattinson est littéralement une chauve-souris vampire. Ironique, pour celui qui fut le héros de Twilight.
« Je suis Vengeance »
S’il y a bien des super-vilains exubérants dans cette histoire, le récit se veut avant tout policier, nous rappelant que DC est l’acronyme de Detective Comics. En prêtant main-forte à une police pas toujours conciliante, en collectant les indices qui devraient le mener jusqu’au tueur, en cherchant à démanteler l’empire du crime de Carmine Falcone (excellent John Turturo) et de son bras droit le Pingouin (Colin Farrell, méconnaissable), Batman redevient le combattant du crime conçu par Bob Kane et Bill Finger à la fin des années trente, même si les bandes-dessinées qui servent de référence majeure à Matt Reeves datent des années 70. Mais la source d’inspiration le plus explicite de The Batman est d’ordre cinématographique : il s’agit de Seven. Le modus operandi de ce serial killer obsessionnel amateur d’énigmes qui ne cesse de manipuler les autorités est directement hérité du thriller de David Fincher, tout comme le traitement étouffant de cette cité humide qui semble suinter la turpitude par toutes ses pores. Immergé dans cette atmosphère fétide, Batman est un super-héros neurasthénique dont les névroses se traduisent par une bande originale entêtante composée par Michael Giacchino, fidèle alter-ego musical du réalisateur. Voilà donc une relecture fascinante d’un mythe pourtant déjà décliné à toutes les sauces, nouvelle preuve que la justice a mille visages et que les héros sont éternels.
© Gilles Penso
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