Camouflés parmi les humains depuis 7000 ans, des immortels venus d’une autre planète affrontent les redoutables « Déviants »…
ETERNALS
2021 – USA
Réalisé par Chloe Zhao
Avec Gemma Chan, Richard Madden, Angelina Jolie, Kumail Nanjiani, Lia McHugh, Barry Keoghan, Brian Tyree Henry, Don Lee, Salma Hayek
THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS I MARVEL CINEMATIC UNIVERSE
En attendant que les Avengers, soudain privés de chefs à la fin de Endgame, se remettent de ce coup dur et se réorganisent, les studios Marvel étaient désireux de mettre en scène une autre équipe de super-héros. L’intégration des X-Men ou des Quatre Fantastiques dans le « Cinematic Universe » n’étant pas encore tout à fait d’actualité, on puisa dans une création moins connue du talentueux Jack Kirby, qui donna corps à la grande majorité des héros imaginés par Stan Lee dans les années 60. Conformes aux concepts titanesques chers à Kirby, les Éternels sont nés en juillet 1976 dans une publication à leur nom (les lecteurs français les découvrirent un an plus tard dans le Strange n°90). Bien plus proches des personnages de DC que de l’univers Marvel, possédant des attributs et des pouvoirs hérités de la mythologie grecque, d’origine millénaire et extra-terrestre, ils s’accordent à vrai dire assez difficilement avec l’esprit des autres comics de Marvel. Les scénaristes Patrick Burleugh, Matthew K. Firpo et Ryan Firpo sont donc chargés de réadapter ces personnages mythiques pour les intégrer dans la gigantesque saga cinématographique amorcée en 2008. Engagée comme réalisatrice de ce film consacré aux Éternels, Chloé Zhao participe aussi activement à l’écriture du long-métrage. Entretemps, Zhao remporte l’Oscar du meilleur film et de la meilleure réalisation pour son film Nomadland, ce qui conforte Marvel dans son choix.
Le film affiche dès son entame deux influences cinématographiques ouvertement assumées : Star Wars et 2001 l’odyssée de l’espace. Après un texte défilant nous résumant des enjeux intergalactiques, un grand monolithe noir flotte en effet dans le cosmos. Nous sommes à bord du vaisseau Domo, transportant les Éternels, une ancienne race extraterrestre liée à des entités cosmiques appelées les Célestes. Voici 7000 ans qu’ils se sont insinués parmi les populations terriennes pour exterminer les Déviants, des monstres mutants particulièrement virulents. Sortes de dragons mi-aquatiques mi-volants qui empruntent aussi leur morphologie aux insectes ou aux taureaux selon les espèces, ces créatures dignes des dessins les plus baroques de Jack Kirby ne sont pas sans évoquer le démon Sammael de Hellboy. Les Éternels ayant réussi leur mission, ils continuent à vivre cachés parmi les humains pendant plusieurs milliers d’années, les protégeant sans intervenir dans leurs conflits. Mais un phénomène inattendu, l’Émergence, les pousse à sortir de l’ombre et à se rassembler à nouveau, alors que surgit partout une nouvelle horde de redoutables Déviants…
L’ombre des DC Comics
Construit sur une narration parallèle alternant les événements contemporains et plusieurs flash-backs situés dans des périodes clés de l’humanité, Les Éternels mêle quelques têtes d’affiche des années 90/2000 (Angelina Jolie, Salma Hayek) à un casting volontairement moins connu. D’emblée, les ressemblances entre ces personnages et ceux de Watchmen sautent aux yeux. Si ce n’est que les Éternels restent désespérément lisses, dénués de la moindre aspérité, au sein d’une direction artistique exempte de partis pris radicaux. Le problème vient justement de cette volonté compréhensible mais artificielle d’accorder ces héros avec leurs homologues de Marvel. Du coup, même dans l’antiquité la plus lointaine, ces aliens divins parlent et blaguent comme des Américains des années 2020. Le scénario se prive en outre de toute réflexion sur les complexités du statut d’immortel parmi une population d’êtres éphémères. La longue durée du métrage (2h36) aurait largement permis de développer ce thème, sans conteste le plus intéressant du film. Mais Chloé Zhao et ses scénaristes passent à côté du sujet, se contentant de livrer ce qu’on attend d’eux : des personnages en panoplies brillantes qui se battent à coup de rayons d’énergie, de l’humour bon enfant, des bons sentiments… On en vient même à se demander si le film ne développe pas une sorte d’étrange complexe d’infériorité vis-à-vis de DC, jusqu’à citer ouvertement la concurrence (à travers des clins d’œil frontaux à Batman et Superman) et à traiter le personnage d’Ikaris (sans conteste le plus intéressant du lot) exactement comme Kal-El dans Man of Steel. De fait, on se prend à rêver à ce que Zack Snyder aurait pu tirer d’un tel concept. Sans doute aurait-il été beaucoup plus respectueux de l’esprit « larger than life » de Jack Kirby.
© Gilles Penso
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