Une histoire d’amour passionnée, intense et complexe entre un homme et une intelligence artificielle…
HER
2013 – USA
Réalisé par Spike Jonze
Avec Joaquin Phoenix, Scarlett Johansson, Amy Adams, Rooney Mara, Chris Pratt, Olivia Wilde, Matt Letscher, Luka Jones, Kristen Wiig, Bill Hader, Portia Doubleday
De son vrai nom Adam Spiegel, Spike Jonze s’est très tôt distingué par ses propositions cinématographiques hors normes où l’absurde se taillait souvent la part du lion : Dans la peau de John Malkovich (écrit par Charlie Kaufman), Adaptation (écrit par Charlie et Donald Kaufman) puis Max et les Maximonstres (écrit par Dave Eggers et lui-même). Her est le premier de ses longs-métrages dont il signe seul le scénario en s’inspirant d’une expérience personnelle troublante. Après avoir lu un article sur un programme de messagerie instantanée générée par une intelligence artificielle, il s’y connecte et découvre l’incroyable capacité d’adaptation du système. De nombreuses limitations sont bien sûr perceptibles, mais le principe le fascine suffisamment pour jeter les bases d’un récit atypique : l’histoire d’un amour virtuel au cours de laquelle la notion de réalité finit par devenir relative. Dans les rôles principaux, il opte pour Joaquin Phoenix, qui vient alors de jouer dans The Immigrant de James Gray, et Scarlett Johansson, dont la prestation ne peut évidemment s’apprécier que si le film est vu en version originale dans la mesure où seule sa voix est présente dans le film. Her s’offre aussi des seconds rôles savoureux : Amy Adams (l’amie de longue date), Rooney Mara (l’ex-femme), Chris Pratt (le collègue de travail gentiment lourdaud) ou encore Olivia Wilde (le rencart d’un soir). Sous l’influence manifeste de Woody Allen, Jonze adopte une mise en scène très instinctive et laisse aux comédiens toute la latitude nécessaire pour qu’ils puissent s’exprimer librement dans des cadres captés souvent caméra à l’épaule.
Her se situe dans un futur très proche, à Los Angeles. Employé comme écrivain public dans la compagnie Handwrittenletters, Theodore Twombly est chargé de rédiger des lettres d’amour ou d’amitié pour des gens incapables de prendre eux-mêmes leur plume. Son talent dans ce domaine est indiscutable, preuve d’une sensibilité à fleur de peau. Mais Theodore est par ailleurs un homme mélancolique et introverti, incapable de se remettre de sa rupture avec son épouse Catherine. Un jour, il installe sur son ordinateur un tout nouveau système d’exploitation équipé d’une intelligence artificielle capable de s’adapter et d’évoluer. Il dote cet OS d’une voix féminine, qui choisit aussitôt le prénom de Samantha. Le naturel avec lequel s’exprime et réagit cette voix synthétique surprend Theodore qui commence progressivement à éprouver des sentiments pour elle. Sensible, drôle, délicate, attentive, Samantha le séduit au-delà de toute mesure. Or ces sentiments semblent partagés…
Algorithme and blues
Joaquin Phoenix est décidément un acteur d’exception, véritable caméléon capable de se fondre dans ses personnages au point de s’effacer quasi-totalement derrière eux, comme si son enveloppe charnelle était le réceptacle d’une galerie de caractères multiformes. Or tout le film tourne justement autour de l’idée d’une voix qui prend virtuellement corps dans l’esprit de celui qui l’écoute. Theodore est un homme rongé par la solitude, incapable d’accepter son divorce alors qu’il est séparé depuis un an (« j’attends de ne plus l’aimer » avoue-t-il à Samantha), inventant des sentiments factices à travers des courriers passionnés qu’il écrit pour d’autres. Les sensations qu’il commence à éprouver pour son système d’exploitation sont-elles les symptômes pathétiques d’un être émotionnellement inadapté ? A moins qu’un algorithme très élaboré puisse combler un manque affectif, évoluer au point de se muer en être capable d’émotions, de désirs et de sensibilité ? « Je deviens bien plus que ce pour quoi j’ai été programmée », finit par constater Samantha, surprise des propres pensées qui traversent son esprit synthétique. Mais l’amour peut-il se soustraire totalement à la présence physique ? Le questionnement est d’autant plus fascinant que les intelligences artificielles. gagnent du terrain dans notre monde réel et finiront tôt ou tard par poser des problèmes d’ordre métaphysique. D’autres films ont bien sûr abordé le sujet de l’émancipation d’un esprit synthétique par le passé, sur un spectre large allant d’Electric Dreams à Simone, mais rarement avec autant d’acuité et de sensibilité que celui de Spike Jonze. Her remportera en 2014 l’Oscar du meilleur scénario.
© Gilles Penso
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