Pour préserver les dernières parcelles de végétation de la Terre, des vaisseaux-serres sillonnent l’espace… mais jusqu’à quand ?
SILENT RUNNING
1972 – USA
Réalisé par Douglas Trumbull
Avec Bruce Dern, Cliff Potts, Ron Rifkin, Jesse Vint, Mark Persons, Steven Brown, Cheryl Sparks, Larry Whisenhunt, Joseph Campanella, Roy Engel
THEMA SPACE OPERA I FUTUR I ROBOTS
Douglas Trumbull s’est fait connaître en créant les effets visuels révolutionnaires de 2001 l’odyssée de l’espace et ceux du Mystère Andromède. Son travail est dès lors notoire dans le monde entier et lui ouvrira plus tard les portes d’autres productions de grande envergure sur lesquelles il pourra apposer sa patte magique, notamment Rencontres du troisième type, Blade Runner et Star Trek le film. Entretemps, Trumbull décide de montrer sa propre personnalité, souvent effacée derrière celle des cinéastes pour lesquels il œuvre. D’où l’envie de réaliser lui-même un long-métrage de science-fiction à contre-courant de ce qui se fait traditionnellement dans le genre. Ce sera Silent Running, une fable écologique futuriste dont le scénario est co-écrit par Deric Wahburn, Michael Cimino et Steven Bochco. Ces auteurs presque débutants seront promis à un très bel avenir (les deux premiers écriront Voyage au bout de l’enfer, le troisième créera les séries Hill Street Blues et New York Police Blues). Armé d’un très modeste budget de 1 300 000 dollars, Trumbull fait des merveilles, supervisant lui-même les effets spéciaux de son film avec l’aide de deux autres pointures dans le domaine, Richard Yuricich et John Dykstra. Cette conjonction de talents donne naissance à l’un des space opera les plus atypiques de son époque.
Le générique de SIlent Running nous fait voyager au cœur d’une nature en très gros plan : des fleurs, un escargot, une tortue, une grenouille, des lapins, quelques vestiges fragiles abrités dans un oasis artificiel. Toute végétation a disparu de la Terre depuis longtemps suite à une catastrophe nucléaire. Dans l’attente que l’atmosphère de la planète permette une renaissance de la flore, des espèces végétales ont été placées dans de grandes serres hémisphériques portées par des vaisseaux spatiaux. Le botaniste Freeman Lowell (Bruce Dern) a passé huit ans à bord du transporteur spatial Valley Forge, occupé quotidiennement à entretenir sous d’immenses dômes de précieux spécimens botaniques. D’emblée, le décalage est perceptible entre cet homme solitaire et ses trois compagnons de voyage, qui s’amusent comme des enfants irresponsables à faire la course dans des véhicules électrique qui endommagent les parterres de fleurs. Ils ne sont à bord du vaisseau que depuis huit mois, sont moins matures que lui, moins conscients de la portée presque sacrée de cette mission de préservation des dernières forêts du monde. Et puis soudain, l’ordre tombe : le projet est abandonné et chaque forêt doit être détruite avec des charges nucléaires. Les vaisseaux seront ensuite rapatriés pour servir des missions commerciales. Si ses compagnons jubilent à l’idée de pouvoir enfin rentrer chez eux, Lowell est profondément choqué par cette nouvelle. Passée la surprise, il prend la décision de désobéir.
La dernière forêt du monde
La situation est d’autant plus intéressante que les choix à opérer face à ce dilemme sont impossibles. Quels sont les sacrifices les plus acceptables ? Qui ou quoi faut-il prioritairement sauver ? L’amour de la nature doit-il automatiquement conduire à la misanthropie ? Le jeu de Bruce Dern (qui crevait déjà l’écran dans Pas de printemps pour Marnie, Chut chut chère Charlotte ou On achève bien les chevaux) s’adapte à merveille à ce cas de conscience complexe. Car son personnage semble illuminé, déconnecté de la réalité, tout entier consacré à cette dernière parcelle de nature avec laquelle il est entré en communion. Les autres êtres humains disparaissant bien vite de l’intrigue, Silent Running offre une réflexion amère sur la solitude, que notre héros trompe en prêtant une personnalité et une âme aux seuls compagnons qui lui restent, trois robots non antropomorphes nommés drones (bien avant que ce terme n’entre dans le langage courant technologique). En phase avec les préoccupations de son temps, le film de Douglas Trumbull se place dans le sillage du traumatisme encore récent de l’assassinat de Martin Luther King, auquel l’une des répliques de Bruce Dern fait une allusion directe (« Tu ne crois pas qu’il serait temps que quelqu’un ait un rêve à nouveau ? »). Le cinéaste pousse la singularité jusque dans ses choix artistiques. Pour mettre en musique son space opéra, il ne se tourne pas vers un John Williams ou un Jerry Goldsmith mais choisit le contre-courant : Peter Schickele, jusqu’alors spécialisé dans les compositions humoristiques et cartoonesques, auquel il associe la voix de la célèbre chanteuse Joan Baez. Les vocalises de « la reine du folk » retentissent une première fois lorsque Lowell apprend qu’il va devoir détruire le jardin qu’il préservait, puis accompagnent son isolement, et prennent leur dernier envol au cours d’un générique de fin déchirant.
© Gilles Penso
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