Jean-Pierre Jeunet nous invite dans un monde futuriste burlesque où les robots se révoltent contre les humains…
Jean-Pierre Jeunet n’aime ni la facilité, ni les sentiers battus. C’est souvent une bénédiction pour les spectateurs friands de films secouant un peu leurs habitudes, mais le revers de la médaille est le parcours du combattant auquel doit régulièrement se livrer le réalisateur pour défendre des projets qui ont la fâcheuse habitude de n’entrer dans aucune case. Le triomphe du Fabuleux destin d’Amélie Poulain lui ouvrit naturellement toutes les portes, mais le monde du cinéma a la mémoire courte. Après les beaux scores d’Un long dimanche de fiançailles, il y eut l’accueil tiède de Micmacs à tire-larigot et celui glacial de L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet. Et revoilà notre golden boy redescendu de son piédestal. Ramené au simple rang de trublion gentiment excentrique, il n’est plus le bienvenu dans les hauts lieux de la production cinématographique française. Autant dire que lorsqu’il commence à faire circuler son projet de long-métrage suivant, une comédie de science-fiction exubérante située dans le futur, personne n’y prête la moindre attention. Après quatre ans de refus polis, Jean-Pierre Jeunet reçoit enfin une réponse positive de la part de Netflix. Big Bug ne sera donc pas distribué en salles mais diffusé directement sur la célèbre plateforme de streaming. Qu’à cela ne tienne. Le réalisateur pourra au moins bénéficier des moyens nécessaires à la concrétisation de son projet, co-écrit avec son fidèle comparse Guillaume Laurant, et jouira d’une pleine liberté artistique.
Le tournage de Big Bug n’est pourtant pas une simple affaire, dans la mesure où la pandémie du Covid frappe alors la planète de plein fouet, ce qui ne manque pas d’ironie puisque le film parle justement d’un confinement forcé. Installé avec son équipe dans des décors édifiés par Alice Bonetto sur les plateaux de Bry-sur-Marne, Jeunet nous transporte en l’an 2045. Ce monde, dans lequel l’intelligence artificielle et les robots font partie intégrante de la société, ressemble au futur tels qu’on l’imaginait dans les années 50 : lisse et coloré. La direction artistique s’éloigne donc des sepias si chers au réalisateur au profit d’une palette largement plus variée et saturée. L’intégralité du film se déroule à l’intérieur d’une maison équipée d’une technologie dernier cri où les robots domestiques, pour une raison inconnue, décident d’enfermer tous les occupants. La tension monte lentement mais sûrement dans ce microcosme réunissant une mère célibataire (Elsa Zylberstein) et sa fille (Marysole Fertard), son prétendant (Stéphane de Groodt) accompagné de son fils (Helie Thonnat), son ex-mari (Youssef Hadji) et sa future femme (Claire Chust) ainsi qu’une voisine envahissante (Isabelle Nanty).
Robopop
Même si cet environnement criard ne déborde pas de bon goût (ce qui est manifestement volontaire), la facture visuelle de Big Bug reste l’un de ses points forts. Ce rétro-futurisme pop n’a rien à voir avec celui de La Cité des enfants perdus, Alien la résurrection ou Delicatessen, preuve que Jeunet cherche à diversifier son approche visuelle de la science-fiction. Inscrit dans ce cadre exagérément rutilant, le postulat de Big Bug laisse espérer une farce vaudevillesque riche en rebondissements. Mais hélas, le scénario se contente de faire du sur-place, la situation n’évolue guère, le métrage s’étire artificiellement sur près de deux heures et les gags font rarement mouche. Le jeu outré des acteurs n’arrange pas les choses. Si Stéphane de Groodt et Isabelle Nanty assurent mollement le service minimum, Elsa Zylberstein et Claire Chust en font des tonnes et Youssef Hadji nous embarrasse avec son faux accent marseillais raté. Finalement, les mieux lotis restent les robots. Claude Perron, Alban Lenoir et François Levantal excellent dans les rôles respectifs de la ménagère mécanique, du coach sportif artificiel et du cyborg psychopathe aux faux airs de Robocop. A leurs côtés, il y a les merveilles mécaniques conçues par les rois des effets spéciaux Pascal Molina et Jean-Christophe Spadaccini : une tête d’Einstein montée sur pattes, un petit jouet blanc anthropomorphe et une sorte de chien télescopique à roulettes. Dommage que Big Bug ne parvienne pas à exploiter correctement son concept ni à s’offrir une satire pertinente de notre aliénation aux machines. L’initiative reste sympathique et originale, mais ce huis-clos théâtral et caricatural ne restera guère dans les mémoires.
© Gilles Penso
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