INCASSABLE (2000)

M. Night Shyamalan réinvente sous un angle hyperréaliste la mythologie des super-héros de bande-dessinée…

UNBREAKABLE

 

2000 – USA

 

Réalisé par M. Night Shyamalan

 

Avec Bruce Willis, Samuel L. Jackson, Robin Wright, Spencer Treat Clark, Charlayne Woodard, Eamonn Walker, Leslie Stefanson

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA GLASS M. NIGHT SHYAMALAN

Le succès de Sixième sens dépassait toutes les espérances. Galvanisé par cet accueil triomphal, M. Night Shyamalan en profite pour mettre sur pied un projet qui lui tient particulièrement à cœur et qui lui permet de poser un regard très personnel sur le mythe des super-héros. Pour l’accompagner dans cette nouvelle aventure, il retrouve Bruce Willis à qui il adjoint Samuel L. Jackson. Les deux stars s’étaient croisées sur le tournage de Pulp Fiction et jouaient les co-équipiers conflictuels d’Une Journée en enfer. Cette fois-ci, ils incarnent deux hommes que tout oppose. Le premier est David Dunn, unique survivant d’une effroyable catastrophe ferroviaire. Le second est Elijah Price, propriétaire d’une galerie d’art consacrée aux comic books. David s’interroge sur les raisons pour lesquelles il a échappé à la mort et réalise qu’aussi loin que remontent ses souvenirs, il n’a jamais été malade ni blessé. Elijah, lui, souffre depuis sa naissance de la « maladie des os de verre » qui le rend particulièrement fragile. Nous avons donc d’un côté un individu dont la force et l’endurance dépassent allègrement la norme, de l’autre un être à la constitution friable et maladive. Ils n’ont apparemment rien en commun. Pourtant, le destin semble vouloir les mettre sur le même chemin…

Shyamalan installe d’emblée un malaise insidieux avec un premier plan-séquence situé dans les années 60, chez une femme qui vient d’accoucher un bébé aux bras et aux jambes cassées. Le caractère insolite de la situation, captée par un va et vient incessant de la caméra entre la mère, le médecin, les voisins et les reflets dans un miroir, crée un climat oppressant. Le plan-séquence suivant, situé quatre décennies plus tard, fait monter la tension d’un cran. Vus de derrière une rangée de sièges à l’intérieur d’un train en marche, David Dunn et une passagère discutent, captés par une caméra qui les filme à tour de rôle en s’évertuant à ne pas les cadrer ensemble. Le point de vue est inconfortable pour le spectateur. L’accident est imminent, presque palpable, mais nous ne le voyons pas. Tout se joue hors champ, entre les lignes. Telle semble être la ligne de conduite du réalisateur qui refuse d’aborder son sujet trop frontalement. « La vie n’entre pas dans les petites cases qu’on lui dessine » dira à ce propos Elijah. Tout au long d’Incassable, Shyamalan continue donc de favoriser les longs plans, jouant sur le temps qui s’étire et sur la durée. La première note de musique ne s’entend d’ailleurs qu’après plus d’un quart d’heure de film.

Monsieur indestructible

Ces parti pris radicaux sont très intéressants, même s’ils tendent à rendre le film un peu « neurasthénique ». Dans Incassable, tout le monde semble triste, morose, abattu. Ce n’est que sur la pointe des pieds que les deux antagonistes finissent par s’extraire du quotidien pour se muer progressivement en icones. Dans son grand imperméable vert estampillé « Security » qui recouvre sa tête et masque partiellement ses traits, David – filmé souvent en contre-jour – finit par prendre les allures d’un justicier de l’ombre. Elijah lui-même, avec sa coupe de cheveux étrange, ses gants, son grand manteau aux touches violettes et son fauteuil roulant, ressemble de plus en plus à un personnage de bande-dessinée. Le jeu sur les couleurs se poursuit dans cette scène étonnante où notre héros est frappé par des visions en effleurant certains piétons dans un lieu public. Des touches de couleur émergent de la grisaille lorsque David pressent de la culpabilité et des actes malfaisants. En demi-teinte, Incassable s’achève sur une chute un peu décevante parce que trop artificielle, trop écrite. Plus que la voix des personnages, il nous semble entendre les mots du scénariste content de son petit effet dans les dialogues de cet épilogue. « J’adore le fait que les personnages, à un moment crucial du film, fassent une découverte incroyable », nous explique Shyamalan. « Je ne raisonne pas en termes de “twist ending“, de coup de théâtre final. Ce genre de découverte survient au moment où il me semble intéressant de faire rebondir l’intrigue d’une manière inattendue. C’est très gratifiant pour le public et pour le scénariste. » (1) De tous les longs-métrages qu’il a réalisés, Incassable est le favori de son auteur. Il préfigure d’ailleurs la colossale vague de films de super-héros qui s’apprête alors à déferler sur les écrans.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2015

 

© Gilles Penso


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