En pleine guerre froide, Stanley Kubrick imagine le déclenchement loufoque et terrifiant d’une troisième guerre mondiale…
DOCTOR STRANGELOVE OR HOW I LEARNED TO STOP WORRYING AND LOVE THE BOMB
1964 – GB / USA
Réalisé par Stanley Kubrick
Avec Peter Sellers, George C. Scott, Sterling Hayden, Keenan Wynn, Slim Pickens, Peter Bull, Tracy Reed, James Earl Jones, Jack Creley
THEMA POLITIQUE-FICTION
L’humour n’est pas le premier trait de caractère qui vient à l’esprit quand on évoque Stanley Kubrick. Des Sentiers de la gloire à Orange mécanique, le réalisateur de 2001 a pourtant prouvé qu’il savait dérider ses spectateurs, même si chez lui le rire est souvent désespéré, comme s’il s’agissait d’un pare-feu pour pouvoir prendre du recul sur les travers de ses héros. Deux ans après la crise des missiles de Cuba qui, dans l’opinion publique, était à deux doigts de faire basculer la planète dans un troisième conflit mondial, Kubrick ose se saisir des terreurs de ses contemporains pour en tirer une farce gorgée d’humour noir. Nous sommes alors encore en pleine guerre froide et les tensions entre les blocs Est et Ouest restent très fortes. Le futur metteur en scène de Full Metal Jacket en profite pour moquer la paranoïa généralisée, le militarisme fanatique, l’anticommunisme primaire et l’ignorance qui mènent à la haine puis à la destruction, en adaptant le roman « 120 minutes pour sauver le monde » de Peter George. Si le livre dont il s’inspire abordait la crainte de l’holocauste nucléaire avec sérieux et premier degré, sa transcription sur grand écran prend la tournure d’un pastiche muant l’échiquier géopolitique en cour de récréation pour des adultes qui veulent faire la guerre comme des enfants joueraient aux cowboys et aux Indiens.
Le contexte dans lequel se situe Docteur Folamour est hyperréaliste puisqu’il reflète assez fidèlement les mentalités de l’époque. Nous y apprenons que depuis plus d’un an, l’Europe Occidentale est persuadée que l’Union Soviétique cache une arme nucléaire extrêmement destructrice dans les îles arctiques de Zokhov, noyées dans la brume. Jack Ripper (littéralement « Jack l’éventreur »), un général américain fanatique, prend alors la décision de déclencher une attaque nucléaire sur l’URSS à l’aide de quarante-deux bombardiers B-52 équipés de bombes atomiques créées par le très inquiétant docteur Folamour. Lorsque le Président des États-Unis découvre la situation, il convoque une cellule de crise pour tenter de sauver la situation et de rappeler tous les avions. Mais n’est-il pas déjà trop tard ?
Les trois visages de Peter Sellers
Pour servir son propos satirique n’épargnant personne, Kubrick réunit un casting masculin de premier ordre, comme si la guerre – et la bêtise qui la sous-tend – était avant tout une affaire d’homme. Futur général Patton pour Franklin J. Schaffner, George C. Scott prête son visage anguleux au général « Buck » Turgidson, le chef d’état-major du Pentagone. Dans le rôle de l’hystérique et paranoïaque Ripper, Sterling Hayden fait des étincelles, huit ans après L’Ultime razzia où il était déjà dirigé par Kubrick. Mais Docteur Folamour est surtout un formidable terrain de jeu pour Peter Sellers qui crève l’écran en incarnant trois personnages bien distincts reflétant chacun une facette différente de son talent multiple : un capitaine britannique moustachu qui n’est pas sans rappeler l’inspecteur Clouseau de La Panthère rose, le président des États-Unis passablement dépassé par les événements et le personnage qui donne son nom au titre, un ancien savant nazi aux théories extrêmement peu rassurantes. Le suspense inhérent à la situation va crescendo jusqu’à un climax délirant qui suscite autant le rire que l’effroi. Mené de main de maître par un réalisateur qui allait révolutionner à tout jamais le cinéma de science-fiction quatre ans plus tard, ce difficile exercice de funambulisme entre la comédie et le drame est une perle rare, une œuvre d’utilité publique à ranger aux côtés de Point limite et du Dernier rivage.
© Gilles Penso
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