Un cocktail étonnant qui ose mélanger le vampirisme et l’espionnage au cœur de la Hongrie des années 70
DRAKULICS ELVTARS
2019 – HONGRIE
Réalisé par Mark Bodzsar
Avec Lili Walters, Ervin Nagy, Zsolt Nagy, Szabolcs Thuroczy, Istvan Znamenak, Nelli Szucs, Alexandra Borbely, Monika Balsai, Roland Raba, Eva Kerekes
THEMA VAMPIRES
Avec à son actif plusieurs courts-métrages et épisodes de séries TV, à la fois en tant que metteur en scène et scénariste, le réalisateur hongrois Mark Bodzsar attaque son premier long en 2013. Il s’agit d’Isteni müszak, une comédie noire qui s’intéresse à une équipe de croque-morts de nuit et se déroule au début des années 90. Pour son second long-métrage, Bodzsar cherche à explorer une autre période historique de son pays. « Je ne pouvais pas me lancer dans une grande reconstitution d’époque à cause du modeste budget à ma disposition », explique-t-il. « Je me suis donc concentré sur le 20ème siècle et sur l’implication de la Hongrie dans la seconde guerre mondiale. » (1) En écrivant Camarade Dracula, le jeune cinéaste cherche à inscrire dans un cadre socio-politique tangible un motif purement fantastique, en l’occurrence le vampirisme. Cette idée lui vient en particulier du Bal des vampires, qu’il a visionné à la télévision alors qu’il est encore enfant et dont l’impact sur lui reste très fort. « Ce qui m’intéressait était de faire un pur film de genre en intégrant les vampires dans un contexte réel », confirme-t-il. « Beaucoup des événements, des personnages et des thèmes développés dans le film viennent de la réalité. » (2) Camarade Dracula se déroule dans la Hongrie des années 70. Maria et Laci, un couple d’espions, doivent accompagner – et surveiller – le camarade Fabian, un héros de la révolution cubaine, de retour au pays dans le but de parrainer une collecte de sang pour les enfants du Vietnam, victimes de l’ennemi américain. Étrangement, il n’a pas vieilli depuis trente ans, ce qui intrigue ses supérieurs. Maria et Laci enquêtent : serait-il un vampire ?
Au-delà de la surprise créée par l’incursion inattendue du vampirisme en pleine guerre froide côté hongrois, la nature même du suceur de sang s’avère ici très inhabituelle. Incarné avec beaucoup de charisme par Zsolt Nagy, le « camarade Fabian » ressemble en effet à un acteur américain des années 60, qui ne quitte jamais son blouson en cuir et conduit avec une joie manifeste une Mustang au moteur rugissant. « Notre modèle pour le personnage était Steve McQueen », explique le réalisateur. « La voiture et les vêtements s’inspirent directement de lui. Cette espèce de liberté influencée par la culture américaine entre en rupture totale avec le communisme de l’époque. » (3) C’est donc l’anticonformisme impertinent de Fabian qui attire d’abord l’attention des autorités, plus encore que sa jeunesse éternelle. Le caractère fantastique du film est d’ailleurs retenu le plus longtemps possible. Les manifestations surnaturelles et les effets spéciaux (rares mais très réussis) n’interviennent que tardivement, comme pour mieux semer le trouble. Les restrictions budgétaires poussent le réalisateur à être inventif, jouant sur le hors-champ et les effets sonores. Comme souvent, ces contraintes finissent par devenir des partis pris artistiques et même des atouts.
Guerre froide et sang froid
Camarade Dracula est gorgé d’humour, mais contrairement à ce que son titre pourrait faire penser nous ne sommes pas ici en présence d’une parodie, ni même d’une comédie pure et dure. De fait, malgré l’influence initiale de Mark Bodzsar, il ne s’agit pas d’une sorte de Bal des vampires version guerre froide. Le film cultive finalement une drôlerie assez désespérée. Même Laci, amoureux lourdaud qui exulte en poussant des râles de bête et espion maladroit qui multiplie les bourdes, ne se contente pas de jouer le rôle du comique de service. C’est un personnage plus complexe qu’il n’y paraît, véhiculant plusieurs émotions contraires comme la colère, la tristesse et la frustration. Camarade Dracula exhale donc entre deux passages résolument drôles de l’amertume et du désenchantement, sans évacuer l’aspect romantique généralement attaché au mythe du vampirisme. Car il y a bien une « love story » sur fond de tourmente et de paranoïa politique. Pour assumer pleinement les racines du genre, Bodzsar aurait aimé utiliser des extraits du Dracula de Tod Browning (d’autant que Bela Lugosi était un acteur hongrois). Mais des problèmes de droits le poussèrent à se rabattre sur Blacula, dont des images apparaissent dans une salle de cinéma. La comédie d’épouvante de William Crain étant contemporaine des événements décrits dans le film, ce choix fait sens et brouille d’avantage les pistes sur sa tonalité décidément insaisissable.
(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2021
© Gilles Penso
Partagez cet article