BALADA TRISTE (2010)

Au sein d’une troupe de cirque des années 70, le drame se noue autour d’une magnifique acrobate et bascule dans l’horreur et la folie…

BALADA TRISTE DE TROMPETA

 

2010 – ESPAGNE

 

Réalisé par Alex de la Iglesia

 

Avec Carlos Areces, Antonio de la Torre, Carolina Bang, Manuel Tallafé, Alejandro Tejerias, Manuel Tejada, Enrique Villen

 

THEMA FREAKS I TUEURS

Il est de plus en plus rare de s’asseoir dans une salle de cinéma et d’ignorer où le film que nous allons voir s’apprête à nous embarquer, puis de voyager de surprise en surprise, chaque rebondissement bifurquant dans une nouvelle direction inattendue, et de réaliser finalement que cet objet cinématographique s’avère insaisissable. Balada Triste est l’un de ces objets rares. À la fois reconstitution historique, histoire d’amour, comédie, drame et film d’horreur, ce spectacle incroyable se vit comme un tour de montagnes russes nous ballotant sans cesse d’une émotion à l’autre pour finalement nous laisser K.O. Soucieux de revenir à ses racines, Alex de la Iglesia décide pour la première fois de sa carrière d’écrire un scénario seul, sans l’apport de son fidèle comparse Jorge Guerricaechevarria, et bâtit un récit torturé dont chaque déchirure semble être une métaphore de l’histoire espagnole, marquée par la guerre, le fascisme et le terrorisme.

L’intrigue démarre en 1937, au cœur de la guerre civile. Interrompus au milieu d’une représentation, les artistes d’un cirque sont réquisitionnés par l’armée pour participer à l’effort de guerre. C’est donc par une vision surréaliste digne de Terry Gilliam que s’ouvre le film : celle d’un groupe de clowns armés jusqu’aux dents qui se ruent à l’assaut des troupes ennemies. Puis le récit se transporte 36 ans plus tard et prend pour protagoniste Javier (Carlos Areces), un clown triste en quête de travail qui n’est autre que l’alter-ego fictionnel d’Alex de la Iglesia lui-même. « Un héros qui entre dans la norme ne m’intéresse pas », nous explique le réalisateur. « Lorsqu’il souffre plus que nous-mêmes, l’identification est maximale et immédiate, comme dans les tragédies grecques. Voilà ce qui m’attire chez les héros marginaux. » (1) En voyant pour la première fois la sublime acrobate Natalia (Carolina Bang), Javier est frappé par un coup de foudre irréversible. Mais cette idylle naissante semble vouée à l’échec, la sculpturale artiste étant fiancée à Sergio, un autre clown au tempérament extrêmement violent (Antonio de la Torre).

Le clown tueur venu d’ailleurs

Les éléments du drame étant en place, la situation ne tarde pas à basculer dans l’horreur et la folie destructrice. Le miracle de Balada Triste tient dans sa capacité à conserver intacte sa cohérence et son unité malgré son mélange troublant de styles à priori antithétiques. Rares sont les films capables d’alterner harmonieusement la farce, la tragédie, la satire politique, le survival et le slasher ! D’autant que De la Iglesia tient à inscrire son récit dans un contexte historique tangible, fusionnant la fiction et la réalité en plaçant ses protagonistes aux premières loges de l’attentat qui frappa le premier ministre franquiste Carrero Blanco en 1973. La disparité des influences du cinéaste s’avère tout aussi surprenante, Balada Triste citant presque littéralement L’Inconnu de Tod Browning, La Mort aux trousses d’Alfred Hitchcock ou L’Homme qui rit de Paul Leni. Rire, larmes, frissons et suspense sont donc au menu de ce long-métrage décidément atypique, qui récolta pas moins de quinze nominations aux Goya (les Oscars espagnols) ainsi que deux prix lors du Festival de Venise, ceux du meilleur réalisateur et du meilleur scénario.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en novembre 2013

 

© Gilles Penso


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