Une relecture musicale et décalée du célèbre conte qui s’engouffre tête baissée dans la culture « woke » sans en ressortir grandie…
CINDERELLA
2021 – USA
Réalisé par Kay Cannon
Avec Camilla Cabello, Nicholas Galitzine, Idina Menzel, Maddie Baillio, Charlotte Spencer, Billy Porter, Minnie Driver, Pierce Brosnan
THEMA CONTES
Certaines histoires sont éternelles et se soumettent volontiers à d’innombrables relectures et réinterprétations. Comme la plupart des contes qui lui sont contemporains, le « Cendrillon » de Charles Perrault est de cette nature. Depuis la version de Georges Méliès en 1899, on ne compte plus le nombre de transpositions à l’écran de cette féerie que tout le monde connaît par cœur. Lorsque l’acteur/producteur James Corden propose une énième variante sous forme d’une comédie musicale décalée et modernisée, le studio Columbia se laisse tenter et en offre la mise en scène à Kay Cannon, qui écrivit de nombreuses séries TV et dirigea la comédie Contrôle parental. Le principe de ce Cendrillon 2021 consiste à conserver le conte dans son contexte historique médiéval, à le saupoudrer de second degré et surtout à ponctuer sa narration d’une quinzaine de chansons volontairement anachroniques, aux arrangements partagés entre le R’n’B, la pop, le rap et le disco. Ce parti-pris artistique fut l’un des arguments marketing principaux du film. L’autre reposait sur un choix de casting apparemment audacieux : confier le rôle principal à une chanteuse d’origine cubaine, en l’occurrence Camilla Cabello, et celui de la bonne vieille marraine à un acteur noir dans une grande tenue de papillon à paillettes, autrement dit Billy Porter. Audacieux, vraiment ?
Quand Steven Spielberg choisit un casting intégralement latino-américain pour incarner la bande des Sharks et un acteur transgenre pour donner corps au personnage d’Anybodys dans West Side Story, c’est une décision artistique radicale forte, portée par les exigences du scénario original de 1957 et mis en perspective à travers le prisme des préoccupations des années 2020. Mais lorsque Kay Cannon opte pour une Cendrillon aux racines hispaniques et pour une marraine non-genrée, ne se contente-t-elle pas de se soumettre au diktat de la bien-pensance de son époque ? En enfonçant les portes ouvertes d’un féminisme de comptoir, en plaçant dans les dialogues des considérations environnementales anachroniques (« savez-vous que l’énergie éolienne est plus saine que le charbon ? »), ne cherche-t-elle pas à être prudemment dans l’air du temps ? La liberté de ton dont se réclame cette version de Cendrillon n’est donc qu’illusoire. Le film est au contraire entravé de toutes parts par son besoin un peu vain de faire bonne figure, d’être le « bon élève » d’une époque où la culture woke s’immisce de toutes part.
Juke Box
Reste le spectacle, qui lui aussi peine à convaincre. Ce nouveau Cendrillon est entièrement conçu comme un show musical dont chaque chanson ressemble au numéro d’un programme de télé-crochet. Les chorégraphies enjouées, les voix souvent auto-tunées, les paroles gentiment insipides n’ont rien de bien subversif (où est l’impertinence tant vantée par les initiateurs du film ?). D’autant que la nature même des chansons entre souvent en contradiction avec ce qu’elles sont censées raconter. Le problème intervient dès le début. Cendrillon devrait nous apparaître comme une fille maltraitée, délaissée, soumise aux tâches ingrates, bref en attente d’un plein épanouissement. Or en chantant joyeusement « You Gotta Me », elle est déjà rayonnante, s’époumonant en riant comme sous le feu des projecteurs de « The Voice ». Quant à la cité, soi-disant rigide et coincée dans des traditions séculaires, la voilà qui se lance dans un rythm and blues déluré qui montre tout le contraire. Peu confiants dans le potentiel commercial des chansons écrites spécialement pour le film, les producteurs préfèrent d’ailleurs s’appuyer régulièrement sur de confortables reprises puisées tous azimuts (Queen, Madonna, Ed Sheeran, Earth Wind & Fire). Seule la présence de Pierce Brosnan en roi acariâtre s’avère réjouissante. C’est hélas bien peu pour deux heures de métrage.
© Gilles Penso
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