Le septième long-métrage d’Edgar Wright est une œuvre insaisissable où le présent et le passé s’imbriquent jusqu’au cauchemar…
LAST NIGHT IN SOHO
2021 – GB
Réalisé par Edgar Wright
Avec Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy, Diana Rigg, Matt Smith, Terence Stamp, Jessie Mei Li, Rita Tushingham, Michael Ajao
THEMA TUEURS I RÊVES I VOYAGES DANS LE TEMPS
À travers les films qu’il a réalisés (Shaun of the Dead, Hot Fuzz, Scott Pilgrim, Le Dernier pub avant la fin du monde, Baby Driver) et ceux auxquels il a prêté sa plume de scénariste (Les Aventures de Tintin, Ant-Man), Edgar Wright a progressivement dessiné les contours d’une carrière passionnante teintée de culture populaire. Toujours soucieux de citer ses sources, Wright ne les aborde pas avec le cynisme habituel des férus du post-modernisme mais au contraire avec la déférence chère aux enfants bercés par le cinéma de genre, la musique pop et les bandes dessinées. Avec Last Night in Soho, le cinéaste souhaite saluer tout un pan de la culture britannique des années soixante qui le passionnent mais qu’il n’a jamais connues lui-même (il est né en 1974). Pour y parvenir, il se laisse partiellement inspirer par deux films de genre incontournables : Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg et Répulsion de Roman Polanski. Pour autant, Last Night in Soho (qui emprunte son titre au tube d’un groupe pop anglais des sixties) ne ressemble à rien de connu. Le septième long-métrage d’Edgar Wright commence comme une comédie légère, prend la tournure d’un drame intimiste, bascule soudain dans le thriller surnaturel puis dans l’horreur mêlée à une enquête policière étalée sur plusieurs décennies. Si l’on ajoute à ce patchwork déjà déconcertant une histoire de voyage dans le temps, de double vue, de cauchemars à répétition et de meurtres mystérieux, on comprend aisément que l’œuvre a quelque chose d’insaisissable.
En contre-jour dans l’encadrement d’une porte, une jeune fille évolue avec grâce dans une robe de sa création. Il s’agit d’Eloise (Thomasin McKenzie, que Wright a repérée dans le film Leave No Trace de Debra Granik), passionnée par le stylisme et obsédée par les années soixante. Élevée par sa grand-mère après la mort tragique de sa mère, Eloïse quitte sa petite ville pour partir faire ses études à Londres. Sympathiser avec des camarades snobs et superficielles n’est pas simple, au point qu’elle préfère quitter sa résidence universitaire pour louer une chambre chez la vénérable Madame Collins (Diana Rigg). Mais dès sa première nuit dans les lieux, elle est transportée comme par magie dans un monde alternatif : le Londres de 1966. Là, elle suit les pas de Sandie (Anya Taylor-Joy, découverte par Wright dans The Witch et passée depuis à la postérité grâce à la série Le Jeu de la dame). Cette apprentie chanteuse tente de se frayer une carrière dans la jungle des night-clubs de la ville. Les rêves d’Eloïse semblent si réels qu’elle jurerait voyager chaque nuit dans un passé bien tangible. Peu à peu, cette vie parallèle nocturne déteint sur sa vie réelle et finit par la faire basculer dans le pire des cauchemars…
Les deux visages de la peur
Soucieux de décrire Londres comme un endroit à la fois attirant et terrifiant, Edgar Wright fait presque de la ville un personnage à part entière. Si la direction artistique du film est remarquable, la virtuosité du cinéaste atteint des sommets de fulgurance lors de ces incroyables séquences oniriques où Eloïse et Sandie cohabitent dans le même espace, chacune restant coincée dans son époque, jusqu’à fusionner furtivement lors des moments les plus intenses. Il est longtemps difficile pour le spectateur de comprendre s’il a affaire à de simples rêves, des hallucinations, des sauts surnaturels dans le passé ou une sorte de « prémonition à rebours ». Toujours est-il que le phénomène est troublant et vertigineux. Et lorsque la fascination cède le pas à la terreur, l’esthétique du giallo finit par s’inviter dans la mise en scène de Wright. Garnissant sa bande originale de clins d’œil musicaux aux swinging sixties qui évitent les standards trop évidents, Last Night in Soho réserve aussi des rôles de choix à quelques icônes des années soixante, notamment Terence Stamp et Diana Rigg. Ce sera le dernier rôle de l’inoubliable interprète d’Emma Peel, décédée après la fin de la production. D’où la dédicace en exergue que lui offre le film : « à Diana ». Avec la disparition de l’héroïne de Chapeau melon et bottes de cuir et Au service secret de Sa Majesté, une page d’histoire se tourne, une époque révolue semble s’éteindre. Époque à laquelle Edgar Wright rend ici un hommage d’autant plus précieux.
© Gilles Penso
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