À travers le récit d’un petit cochon refusant son destin, George Miller raconte les rapports faussés qu’entretient l’homme avec la nature…
BABE
1995 – AUSTRALIE / USA
Réalisé par Chris Noonan
Avec James Cromwell, Magda Szubanski, Zoe Burton, Paul Goddard, Wayde Hayward, Brittany Byrnes, David Webb, Mary Acres, Janet Foye
THEMA MAMMIFÈRES I CONTES
Depuis le milieu des années 80, George Miller rêve de porter à l’écran « The Sheep Pig », un roman pour enfants écrit par Dick King-Smith. Face à l’ampleur et à la complexité d’un tel projet, nécessitant la mise en scène d’une cohorte désordonnée d’espèces animales variées, l’usage d’une foule de marionnettes animatroniques et le recours à une vaste quantité de trucages numériques, le réalisateur de Mad Max conserve le poste de producteur et de scénariste mais confie la mise en scène à son compatriote Chris Noonan, jusqu’alors spécialisé dans le documentaire. Le héros de Babe est un porcelet arraché très tôt à sa famille, exhibé dans une foire agricole, recueilli par un paysan flegmatique et adopté par une ménagerie fermière dans laquelle règne une rigoureuse hiérarchie. Chaque animal trouve là un rôle à sa mesure : les chevaux tirent les carrioles, les vaches donnent du lait, les moutons fournissent de la laine, les chiens gardent les moutons. Mais certains, comme les cochons ou les poulets, semblent n’avoir d’autre rôle que celui d’être patiemment engraissés…
Babe évoque à la fois les films de Frank Capra, dans lesquels le héros innocent et naïf pénètre dans un système rigide dont il bouleverse malgré lui les règles, et « La Ferme des animaux » de George Orwell, fable satirique où les animaux domestiques symbolisent des caractères humains. Il est clair que le racisme est l’un des travers humains visés, par l’intermédiaire de ces espèces amenées à cohabiter dans la même ferme, chacune s’estimant plus intelligente, plus utile, en un mot supérieure à l’autre, hébétées qu’elles sont par une série d’à-priori basiques. Témoin cette scène savoureuse où la chienne Fly parle lentement et distinctement pour se faire comprendre des moutons qu’elle sait idiots, tandis que les moutons bêlent stupidement pour ne pas décevoir la chienne qu’ils savent imbécile. Mais au-delà de ce cas relativement isolé de transposition du comportement humain, Babe s’avère très peu anthropomorphique. Contrairement à ceux des fables d’Esope ou de La Fontaine, qui se servent des bêtes pour parler des hommes, les animaux de Babe jouent ouvertement leur prope rôle.
Little Pig Man
D’où la volonté de la part de George Miller d’écarter l’éventualité du dessin animé au profit de l’action « live », en chair et en os. C’est là qu’interviennent les prouesses des effets spéciaux. Les marionnettes animatroniques de l’atelier de Jim Henson et John Cox, les animaux réels dirigés sur le plateau par le vétéran Karl Lewis et les trucages numériques de Rythm & Hues se mêlent avec une troublante homogénéité. Au lieu de jouer sur une distanciation de documentariste animalier, Chris Noonan filme ses bêtes comme de véritables acteurs, restitue l’imagerie des livres pour enfants (la ferme elle-même semble arborer un visage jovial) et revendique ses origines littéraires à travers plusieurs mécanismes narratifs (la voix-off du conteur, la division en chapitres). Pour autant, dès le prologue, Babe se permet un écart par rapport au texte original en montrant les cochons entassés dans un sinistre hangar, promis à l’abattoir. D’emblée, le propos du film apparaît clairement : Babe est le récit d’un petit animal dont les parents ont échoué dans une boucherie et dont le destin est de terminer lui aussi dans une assiette. Comment oublier les cauchemars du petit cochon, sa tragique prise de conscience ou sa recherche désespérée d’une affection maternelle trop tôt perdue ? Même le plus jeune des spectateurs comprendra ce que dit le film en filigrane : l’homme dispose à sa guise des autres animaux que lui-même, assignant à chacun un rôle d’esclave soumis et dévorant ceux auxquels il ne trouve pas de fonction utilitaire. Babe est-il donc un conte écologique ? Assurément. Humaniste même. Un de ces films qu’on rêvait de voir depuis belle lurette. Et le fait que son instigateur soit le père de l’un de nos héros de science-fiction préférés fait chaud au cœur.
© Gilles Penso
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