L’ESPRIT DE CAÏN (1992)

Brian de Palma revient à ses premières amours pour décrire les profonds troubles psychiatriques d’un homme à personnalités multiples

RAISING CAIN

 

1992 – USA

 

Réalisé par Brian de Palma

 

Avec John Lithgow, Lolita Davidovich, Steven Bauer, Frances Sternhagen, Gregg Henry, Tom Bower, Mel Harris, Teri Austin

 

THEMA DOUBLES

L’accueil mitigé de Body Double pousse au milieu des années 80 Brian de Palma à changer de registre. Sortant de sa « zone de confort » hitchcockienne, il se lance ainsi dans des œuvres aussi variées que Wise Guys, Les Incorruptibles, Outrages ou Le Bûcher des vanités, avec des fortunes diverses. A vrai dire, seule sa relecture des aventures d’Eliott Ness enthousiasme les foules, les trois autres films ayant refroidi durablement le public. De Palma a donc besoin de se refaire, quitte à emprunter des sentiers déjà battus, avec en prime une contrainte logistique qu’il s’impose : un budget modeste et des décors situés tout près de chez lui, pour ne pas trop s’éloigner de sa femme enceinte de l’époque, la célèbre productrice Gale Ann Hurd. Le voilà donc plongé dans un nouveau thriller d’épouvante qui semble faire écho à tout un pan de son œuvre précédente. Structuré d’une manière plutôt inhabituelle (qui inspirera visiblement la narration éclatée de Reservoir Dogs et Pulp Fiction), le scénario de L’Esprit de Caïn jongle habilement entre la réalité, le rêve, l’hallucination et le flash-back, ce qui déroute parfois le spectateur sans empêcher pour autant le film de conserver une étonnante cohérence.

L’idée de départ du récit s’inspire du Voyeur de Michael Powell, avec lequel L’Esprit de Caïn entretient plusieurs points communs. Le film s’intéresse au docteur Carter Nix (John Lithgow), un psychologue pour enfants très respecté. Sa femme Jenny (Lolita Davidovich) s’inquiète tout de même de la manière dont son éminent mari étudie leur fille Amy (Amanda Pombo). De toute évidence, il considère son propre enfant comme un sujet d’étude, d’analyse et d’expérience. Les choses commencent à se gâter sérieusement lorsque Carter découvre que sa femme le trompe avec un certain Jack Dante (Steven Bauer). Cette révélation ouvre dans l’esprit de Carter de nombreuses failles. Car le cerveau tourmenté du pédopsychiatre réputé abrite plusieurs personnalités. Certaines sont bienveillantes et protectrices, d’autres nettement moins…

Mes doubles, ma femme et moi

Ce récit à tiroirs – dont De Palma regrettera plus tard le déséquilibre – offre au cinéaste l’occasion de citer une nouvelle fois Hitchcock, notamment dans la scène de la voiture immergée reprise plan par plan à Psychose. On note aussi un emprunt à Dario Argento (que ce dernier appréciera moyennement) au moment de l’apparition du tueur surgissant derrière le protagoniste, comme dans Ténèbres. Mais c’est surtout lui-même que De Palma cite dans L’Esprit de Caïn, en particulier Pulsions (le tueur déguisé en femme, la scène dans l’ascenseur, les fractionnements de personnalités) et Sœurs de sang (encore une histoire de doubles et de psychiatre fou). Ces retrouvailles avec des thèmes familiers s’accompagnent de fidélités professionnelles renouvelées : les acteurs John Lithgow (Obsession, Blow Out), Steven Bauer (Scarface, Body Double) et Gregg Henry (Scarface, Body Double), et bien sûr le compositeur Pino Donaggio. On notera la régularité métronomique avec laquelle surviennent les scènes chocs dans le film (souvent provoquées artificiellement par des hallucinations ou des rebondissements improbables). Soucieux de bien marquer le long-métrage de son empreinte, le cinéaste concocte un étonnant plan-séquence de plus de quatre minutes qui traverse plusieurs décors jusqu’à s’achever sur le gros plan d’un cadavre, ainsi qu’une séquence finale démesurée – au ralenti comme il se doit – clairement conçue pour constituer un morceau d’anthologie (avec le motif visuel du landau emprunté aux Incorruptibles). Maladroit mais virtuose, L’Esprit de Caïn demeure un exercice de style passionnant, situé à une période charnière de la filmographie du brillant Brian. Ce dernier retrouvera toute sa verve – et beaucoup plus de finesse – dans son film suivant, le magnifique L’Impasse.

 

© Gilles Penso

 

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