L’une des adaptations les plus fidèles, les plus audacieuses et les plus drôles du célèbre roman de Jonathan Swift…
GULLIVER’S TRAVELS
1996 – GB
Réalisé par Charles Sturridge
Avec Ted Danson, Mary Steenburger, Geraldine Chaplin, Kristin Scott Thomas, Omar Sharif, Peter O’Toole, Ned Beatty
THEMA NAINS ET GÉANTS
Avec beaucoup de justesse et un talent indiscutable, le scénariste Simon Moore est parvenu à retrouver l’esprit et la forme du roman original de Jonathan Swift, bien plus que toutes les adaptations précédentes des « Voyages de Gulliver ». Même dans le cadre d’un téléfilm de trois heures, parvenir à transposer la majeure partie des péripéties contenues dans ce fameux pavé littéraire est déjà un réel exploit. Ainsi, outre le voyage chez les minuscules Lilliputiens et les gigantesques Brobdingnag, Gulliver rencontre les savants fous de l’île flottante Laputa, des sorciers, des immortels, des hommes-bêtes nommés « yahoos » et des chevaux parlants répondants au doux nom d’« houyhnhnms ». De même, sans autocensure prétextée par le jeune âge du public visé, le script de ces Voyages de Gulliver parvient à retrouver la verve satirique du texte initial, restituant presque mot à mot quelques-unes de ses répliques les plus acerbes. Les dérogations que Moore s’est permises à l’égard du roman n’ont d’autre vocation que d’étayer son propos. Ainsi, alors qu’à l’origine Gulliver rentrait chez lui entre chacun de ses voyages, à l’instar du marin Sinbad dont les aventures inspirèrent ouvertement Swift, il demeure absent de son foyer pendant toute la durée de son périple dans le film. Ce qui permet de renforcer le caractère de Mary, la femme de Gulliver qui, à l’instar de la fidèle Pénélope d’Ulysse, attend patiemment le retour de son époux, en repoussant sans défaillir les assauts d’un entreprenant prétendant.
L’autre liberté prise sur le roman est une structure complète en flash-back, qui conte en parallèle l’aventure de Gulliver et les efforts exaltés qu’il déploie pour convaincre ses semblables de la véracité de son récit. Ce choix narratif génère une véritable tension liée au destin de Gulliver, menacé d’internement dans un sordide hôpital inspiré visiblement de Bedlam, célèbre institut psychiatrique que Swift avait visité juste avant d’entreprendre son roman. Il permet aussi d’aménager des ellipses au cœur de l’odyssée de Gulliver, tant pour éviter de raconter de manière trop détaillée des passages déjà connus du public (en particulier l’épisode de Lilliput) que pour rythmer de manière plus alerte l’ensemble de la narration. Il offre enfin une possibilité supplémentaire d’abonder dans le sens de la satire.
Les lois de la relativité
Ainsi, en situant une partie du scénario en Angleterre, ce Gulliver en profite pour dresser un portrait peu flatteur de la justice et de la médecine. Cerise sur le gâteau, le parallélisme entre les voyages et le retour au pays natal se pare de transitions facétieuses, par le biais du montage, du mixage ou d’effets visuels étonnants, lesquels reprennent et décuplent les trouvailles de Russel Mulcahy dans Highlander. Car ce téléfilm de luxe bénéficie d’effets spéciaux d’une perfection absolue. Le récit s’achève ici un peu moins sinistrement que le roman. Au lieu de se réfugier dans une misanthropie incurable, Gulliver se réadapte peu à peu aux vices des « yahoos », mais il a perdu toute forme d’orgueil, sachant à quel point la grandeur de la race humaine est discutable. Et tandis qu’il fait ce constat, la caméra s’éloigne jusqu’à ce que son épouse et lui deviennent aussi minuscules que les Lilliputiens. Car la fable de Jonathan Swift est aussi une merveilleuse illustration des lois de la relativité.
© Gilles Penso
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