Richard Fleischer dirige Mia Farrow dans le rôle d’une jeune femme aveugle traquée par un tueur psychopathe
SEE NO EVIL / BLIND TERROR
1971 – GB
Réalisé par Richard Fleischer
Avec Mia Farrow, Dorothy Alison, Robin Bailey, Diane Grayson, Brian Rawlinson, Norman Eshley, Paul Nicholas, Christopher Matthew, Lila Kaye, Barrie Houghton
THEMA TUEURS
S’il y a bien deux composantes dans la filmographie de Richard Fleischer qui frappent, c’est son éclectisme et sa capacité d’adaptation. Touche-à-tout, il sut tourner avec la même maestria des films noirs, des westerns, des épopées d’aventure, des péplums, des fables de science-fiction ou des films de guerre en injectant dans chacune de ces œuvres une touche extrêmement personnelle, sans pour autant faire la démonstration d’un style trop voyant. C’est dans les détails qu’on reconnaît un film de Richard Fleischer : une attirance récurrente pour les figures du Mal, une approche sociale des comportements, un sous-texte psychanalytique… Au tout début des années 70, Fleischer s’attaque à un scénario écrit par Brian Clemens (élément créatif clé de la série Chapeau melon et bottes de cuir) et pose les jalons d’un genre qui atteindra le summum de sa popularité la décennie suivante : le slasher. Avant Black Christmas, La Nuit des masques, Vendredi 13 et même La Baie sanglante (réalisé la même année mais sorti plus tard sur les écrans américains), Terreur aveugle met en place les mécanismes de ce cocktail très particulier mixant les codes du film policier avec ceux du film d’horreur. La cécité était déjà un support d’épouvante fort dans Seule dans la nuit de Terence Young. Richard Fleischer la reprend à son compte, éliminant l’argument policier du thriller qui mettait en vedette Audrey Hepburn pour s’intéresser au profil insaisissable d’un désaxé frappé de pulsions meurtrières incontrôlables.
La première image de Terreur aveugle est celle d’un cinéma qui projette un double programme explicite : « Meurtre au couvent » et « Le Culte du violeur » (deux films imaginaires). Les spectateurs dévalent l’escalier et se répandent dans la rue nocturne. La caméra s’abaisse alors pour s’approcher d’une paire de bottes de cowboy. L’homme à qui elles appartiennent – dont nous ne verrons jamais le visage – passe devant des vitrines de jouets guerriers, des journaux qui parlent de fusillades, des téléviseurs qui diffusent un film d’horreur (Le Jardin des tortures), bref est exposé à la violence réelle et fictive qui, on l’imagine, s’emmêlent dans sa tête. Une voiture passe et l’éclabousse. Nerveusement, il essuie ses bottes. Cet incident est visiblement vécu comme un affront. En quelques secondes, Richard Fleischer nous a montré le chasseur et sa proie. La voiture, rutilante, appartient à George et Sandy Rexton (Brian Rawlinson et Diane Grayson), l’oncle et la tante de Sarah (Mia Farrow). Cette dernière est devenue aveugle après un accident d’équitation. Dès lors, elle s’installe avec eux dans leur grande maison au cœur de la campagne anglaise. Là, elle retrouve son ami Steve (Norman Eshley) qui tient un ranch à proximité. Alors que Sarah se remet en selle (au propre comme au figuré) avec Steve, l’homme aux bottes pénètre dans la maison et se lance dans un sanglant massacre. La jeune aveugle sera sa prochaine proie…
L’assassin sans visage
Très tôt, Richard Fleischer nous présente plusieurs suspects possibles. Autour de la candeur de Sarah, les regards sont louches, les attitudes étranges, certaines remarques déplacées. Un fossé social se creuse naturellement entre la famille de l’héroïne et cet entourage immédiat fait de modestes employés et de gitans. Les petites jalousies, les animosités et l’intolérance s’affirment de manière insidieuse, concourant à créer un climat anxiogène avant même que le tueur ne frappe. La virtuosité de Fleischer éclate dans ce long passage (qui commence le soir et s’achève au petit matin) où Mia Farrow évolue dans la grande maison jonchée de cadavres sans s’en rendre compte. Les spectateurs distinguent un par un les indices qui mènent au massacre, sans qu’elle-même en ait conscience. C’est là la définition la plus pure du suspense tel que le définissait Alfred Hitchcock. Lorsqu’enfin elle découvre l’étendue du carnage, c’est hors champ, derrière une porte close. Un bref instant, le spectateur devient à son tour aveugle, privé de l’information visuelle. Le chassé-croisé qui suit sera vécu comme un éprouvant parcours du combattant, rabaissant Sarah plus bas que terre, la traînant littéralement dans la boue, comme si elle devenait à elle seule le symbole de toutes les horreurs que les hommes peuvent faire subir aux femmes (un sujet que Fleischer avait déjà abordé dans La Fille sur la balançoire et qu’il allait décliner de manière surprenante dans Soleil vert). Le tueur est d’ailleurs sur-virilisé (les bottes, le jean, la cigarette à la bouche, le fusil à la main). Trois ans après sa performance inoubliable dans Rosemarys’ Baby, Mia Farrow est une fois de plus exceptionnelle, au cœur de séquences d’angoisse particulièrement éprouvantes. Mais Terreur aveugle n’est pas dénué de faiblesses, en particulier une caractérisation caricaturale de l’assassin (étonnant de la part de Fleischer) et surtout une résolution très décevante. Le film sera l’un des rares flops de son réalisateur, avant d’être réévalué par les cinéphiles y décelant une œuvre charnière dans l’histoire d’un genre cinématographique que John Carpenter allait porter aux nues.
© Gilles Penso
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