Un « techno-thriller » prophétique qui anticipe avec des décennies d’avance les dérives de l’imagerie numérique et des clonages virtuels
LOOKER
1981 – USA
Réalisé par Michael Crichton
Avec Albert Finney, Leigh Taylor-Young, James Coburn, Susan Dey, Dorian Harewood, Tim Rossovich, Kathryn Witt, Terry Welles, Ashley Cox
THEMA CINÉMA ET TÉLÉVISION
En 1973, Michael Crichton passait pour la première fois à la mise en scène avec Mondwest, un film de science-fiction habile et efficace qui présentait entre autres particularités celle d’être pionnier dans l’utilisation des images de synthèse. Encore discrètes, très sommaires, uniquement en 2D, elles étaient tout de même avant-gardistes et servaient à visualiser la vision robotisée du cowboy mécanique incarné par Yul Brynner. Deux ans plus tard, l’écrivain/réalisateur commence à élaborer l’idée d’un thriller futuriste situé dans le milieu publicitaire, avec pour postulat la possibilité de reproduire en imagerie numérique des comédiens plus vrais que nature. Mais en 1975, une telle idée semble ridicule. Six ans plus tard, elle n’est pas beaucoup plus réaliste. Crichton décide malgré tout de franchir le pas. Il écrit et réalise donc Looker, qui sera son quatrième film après Mondwest, Morts suspectes et La Grande attaque du train d’or. Pour le rôle principal, il choisit Albert Finney, à l’affiche la même année de Wolfen. L’Hercule Poirot du Crime de l’Orient-Express donne ici la réplique au vétéran James Coburn (Les Sept mercenaires, La Grande évasion) mais aussi à Susan Dey (La Loi de Los Angeles), Leigh Taylor-Young (Soleil vert) et plusieurs mannequins échappés des pages glacées de Playboy. En quête d’une atmosphère en accord avec le sujet high-tech du film, Crichton sollicite le compositeur Barry De Vorzon (Légitime violence, Les Guerriers de la nuit) dont la bande originale majoritairement électronique évoque parfois certains travaux de Jerry Goldsmith.
Les prémices de Looker sont troublantes. Après avoir demandé à Larry Roberts (Albert Finney), l’un des chirurgiens esthétiques les plus réputés de Beverly Hills, d’opérer sur elle des changements microscopiques, la top-modèle Lisa Convey (Terri Welles) rentre chez elle. Mais visiblement quelqu’un s’est introduit dans son appartement. Après avoir été déstabilisée par un « flash » venu de nulle part, la jeune femme est prise de panique et se jette par la fenêtre. Cet « accident » n’est pas un cas isolé. Deux autres patientes du docteur Roberts, elles aussi mannequins spécialisés dans les spots publicitaires, sont mortes dans d’étranges circonstances après qu’il ait très légèrement altéré leur physique. Alors que la prochaine sur la liste semble être Cindy Fairmont (Susan Dey), le médecin mène sa petite enquête et tombe sur la compagnie Digital Matrix, possédée par le richissime John Reston (James Coburn) et dirigée par Jennifer Long (Leigh Taylor-Young). Spécialisée dans l’utilisation de l’imagerie numérique et des outils digitaux pour maximiser l’impact des spots publicitaires, cette entreprise ne laisse rien au hasard. « A un million de dollars la minute, nous voulons que vous regardiez ce que nous vendons » explique avec pragmatisme Jennifer à notre chirurgien fasciné. Pour être certains que les téléspectateurs regardent là où il faut, les mouvements des pupilles sont ainsi analysés en détail et un ordinateur ajuste au millimètre près la position des modèles ainsi que leur physionomie. Et pour pouvoir contrôler à la perfection leur gestuelle, des avatars numériques permettent de ne plus avoir besoin des acteurs/mannequins une fois que leur corps a été numérisé…
Avatars
Un film comme Looker permet de mesurer le caractère incroyablement avant-gardiste de l’œuvre littéraire et cinématographique de Michael Crichton, qui n’oubliait jamais d’intégrer dans les spéculations scientifiques de ses techno-thrillers des questions éthiques, morales et sociétales. Particulièrement en avance sur son temps, Looker anticipe sur la technologie de la motion capture et soulève déjà les problèmes moraux liés à la création des clones virtuels et à la réappropriation de l’image d’autrui sans son consentement. Ce sujet ne sera d’actualité que deux décennies plus tard. Une scène particulière du film montre Susan Dey se faire scanner à 360°, une technologie qui relevait alors de la science-fiction. En adéquation avec son sujet, le film utilise des images de synthèse inédites, un an avant Tron, dix ans avant Terminator 2 et douze ans avant Jurassic Park qui ouvrira définitivement la voie aux effets numériques… et dont le scénario s’appuie comme par hasard sur un roman de Michael Crichton. Le discours de Looker est d’une force que les années n’ont pas atténué (voir cette scène édifiante où les parents de Cindy sont quasi hypnotisés par une émission stupide qui passe à la télé sans voir la détresse de leur fille). Mais passée la première moitié du film, Crichton peine à construire des péripéties solides autour de ce concept. Un nombre incalculable d’incohérences jalonne ainsi le récit, lui ôtant peu à peu toute crédibilité. De fait, Looker sera un gros flop au box-office et sa chanson générique « She’s a Looker », pourtant conçue comme un tube parfait des années 80, sombrera dans l’oubli. Mais le film mérite d’être redécouvert, ne serait-ce que pour constater à quel point son postulat était vertigineusement prophétique.
© Gilles Penso
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