La Hammer réinvente le célèbre mythe de Jekyll et Hyde en inversant les codes établis pour mieux semer le trouble…
THE TWO FACES OF DR JEKYLL
1960 – GB
Réalisé par Terence Fisher
Avec Paul Massie, Dawn Adams, Christopher Lee, David Kossof, Francis De Wolff, Norma Marla, Magda Miller, Oliver Reed
THEMA JEKYLL ET HYDE
Lorsque le studio Hammer décida de s’emparer du mythe du docteur Jekyll, on s’attendait à une réinterprétation très graphique des écrits de Robert Louis Stevenson. Après tout, Terence Fisher et son équipe n’avaient-ils pas constellé de sang les canines acérées de leur Dracula ? N’avaient-ils pas fait jaillir aux yeux des spectateurs les horrifiques aberrations engendrées par les expériences du docteur Frankenstein ? Or Les Deux visages du docteur Jekyll surprend au contraire par sa retenue. Au lieu d’une escalade dans l’horreur visuelle, Fisher opte pour une angoisse plus insidieuse, plus indirecte, osant même ne jamais montrer la métamorphose physique qui mue Jekyll en Hyde, nœud dramatique de la plupart des versions précédentes. Mais l’idée la plus originale de cette nouvelle adaptation est l’inversion des caractéristiques physiques du bon savant et de son maléfique alter ego. Ici, Jekyll est un vieux savant rabougri et disgracieux, tandis que son double a les traits séduisants et la voix enjôleuse. Même la pilosité faciale, attribut généralement associé à la bestialité de Hyde, prend le chemin inverse de ses prédécesseurs. Une barbe noire et drue grignote le menton de Jekyll, alors que la figure de son âme damnée est lisse et imberbe, comme pour mieux souligner l’impunité de ses exactions.
D’ailleurs, après chacune de ses métamorphoses – et donc chacun de ses méfaits – Hyde revient sous les traits d’un Jekyll de plus en plus vieilli, affaibli et stigmatisé. C’est là que le mythe créé par Stevenson semble épouser celui du Portrait de Dorian Gray et même celui de Faust. Ce parti pris audacieux, dont Jerry Lewis s’inspirera largement pour son savoureux Docteur Jerry et Mister Love, permet au comédien Paul Massie de se livrer à une étonnante performance. Dans les moments les plus intenses du film, le comédien s’avère capable d’incarner en plan séquence Jekyll et Hyde. Quels que soient sa figure et son maquillage, un simple changement d’intonation et de regard suffit à concrétiser ces altérations furtives de sa personnalité.
« Je ne peux pas aimer, je ne connais rien à l’amour »
Peu d’acteurs auront aussi bien rendu l’idée abstraite d’une personnalité prisonnière du corps d’un autre. Lorsque Hyde clame « aidez-moi » avec la voix de Jekyll, l’effet est troublant. Tout comme lorsque le bellâtre diabolique, après une nuit passionnée avec une charmeuse de serpents, constate dans un élan de lucidité désenchanté : « Je ne peux pas aimer, je ne connais rien à l’amour. » Aux côtés de Massie, on trouve la belle Dawn Adams (qu’on a pu admirer dans Un Roi à New York, Le Diabolique docteur Mabuse ou The Vampire Lovers), dans le rôle de l’épouse frustrée du savant qui se jette bien vite dans les bras d’un autre. Et c’est l’incontournable Christopher Lee qui incarne l’amant suffisant et gouailleur, que l’époux éconduit ne souhaite pas laisser impuni… quitte à convoquer le monstre qui sommeille en lui. Lee incarnera d’ailleurs lui-même le double rôle du savant dans une autre adaptation anglaise de la nouvelle de Stevenson, Je suis un Monstre, réalisée en 1971 pour la firme Amicus, concurrente de la Hammer.
© Gilles Penso