Un agent littéraire new-yorkais aux dents longues est mordu par un loup et se transforme en lycanthrope…
WOLF
1994 – USA
Réalisé par Mike Nichols
Avec Jack Nicholson, Michelle Pfeiffer, James Spader, Christopher Plummer, Richard Jenkins, Eileen Atkins, Om Puri
THEMA LOUPS-GAROUS
Après les succès de Dracula de Francis Ford Coppola, Frankenstein de Kenneth Branagh et ce présent Wolf, la firme Columbia réussissait un véritable putsch en volant à Universal son bestiaire de monstres classiques. Fort de génériques prestigieux et de budgets de blockbusters, ce triptyque entendait néanmoins prendre ses distances avec l’horreur pour s’orienter vers un fantastique plus allégorique, plus dramatique, et donc plus apte à séduire le grand-public. Jack Nicholson avait pourtant tenté de monter le projet de Wolf dès 1982 mais sans succès. Si Nicholson est loin d’être un acteur phare du cinéma fantastique, il a néanmoins contribué à des titres gentiment cultes : La Petite boutique des horreurs, Shining et Les Sorcières d’Eastwick. En revanche, pour Mike Nichols (Le Lauréat), qui avait déjà dirigé l’acteur dans La Brûlure, il s’agit d’un baptême du feu. Étant un metteur en scène assez littéraire et porté sur la direction d’acteurs avant tout, il choisit d’aborder la lycanthpopie comme une métaphore de l’arrivisme des « cols blancs » de l’ère post-Reaganienne. Exit donc le folklore et l’esthétique gothique, Wolf sera une itération poilue du Working Girl que Nichols réalisa en 1988. Randal Wallace (Jack Nicholson) est un agent littéraire reconnu et apprécié au sein d’une prestigieuse maison d’édition de Manhattan. Alden (Christopher Plummer), le grand patron, lui annonce néanmoins de façon insidieuse lors d’un diner qu’il va être mis sur une voie de garage pour laisser sa place à Stewart Swinton (James Spader), un jeune loup arrogant. Randal découvre que sa femme le trompe avec ce dernier et rencontre la fille de Alden, Laura (Michelle Pfeiffer), qui va l’épauler dans cette passe difficile.
Mais quid du loup-garou du titre ? Tout d’abord, précisons que ce « vilain » mot ne sera jamais prononcé, afin d’éviter d’être trop ouvertement affilié à un genre dont personne ne semble ici se soucier. La traditionnelle morsure est ainsi expédiée dès la scène d’introduction, comme une encombrante formalité : pendant le générique, nous suivons Randal roulant de nuit sur une route sinueuse et enneigée, à travers bois. Nichols filme la lune plein cadre, afin que le spectateur le moins familier du genre sache de quoi il s’agit. Peut-être lui-même distrait par la lune et la musique envahissante du maestro Ennio Morriconne, Randal ne parvient pas éviter le loup au milieu de la route et percute le pauvre animatronique (fabriqué par Alec Gillis et Tom Woodruff, et plutôt convaincant au demeurant). L’animal blessé le mord avant de s’enfuir à toutes pattes dans les bois. Durant l’heure qui suit, Randal constate tout d’abord une pilosité abondante sur certaines parties de son corps, un phénomène pas si exceptionnel que ça. Comme Randal retrouve au passage tout son tonus sexuel, le bougre ne semble tout d’abord pas trop s’inquiéter. Au contraire : son odorat lui apprend que son collègue a bu de l’alcool au déjeuner et son ouïe lui permet d’écouter les conversations dans les bureaux voisins. Pratique. L’étude de caractère et la satire sociale voulues par Nichols ne vont malheureusement pas chercher très loin, la bestialité révélée servant tout juste à illustrer la compétition professionnelle. Ce qui donne lieu à une scène édifiante au cours de laquelle Randal marque son territoire dans les toilettes en urinant sur les chaussures de Stewart, lui-même mordu en cours de métrage, histoire de nous offrir un affrontement « poilo-à-poilo » dans la dernière bobine lorsque les deux ont enfin achevé leur transformation. L’affrontement vire vite au comique involontaire : outre les doublures visibles comme le nez au milieu de la figure, les adversaires font des bonds de deux mètres, évoquant malgré eux le Tigrou de la forêt des rêves bleus. Et dire que Wolf a été nommé pour le meilleur scénario aux Saturn Awards 1994 – c’est dire si le Fantastique devait se porter mal cette année-là…
Les loups de Wall Street
Que Mike Nichols ait voulu faire un film de loup-garou intello, pourquoi pas ? Encore eut-il fallu que l’écriture et la mise en scène suivent. Pourquoi évacuer les conventions du genre si c’est pour avoir recours à un personnage mi-voyant mi-sorcier expliquant tout à Randal de la malédiction qui le frappe ? Quant au choix du vétéran Giuseppe Rutonno à la photo (qui a travaillé avec Visconti, Fellini, Bob Fosse ou Terry Gilliam), il frise l’erreur de casting tant la mise en image est statique et d’une platitude flagrante en termes de découpage. Mike Nichols, pourtant un metteur en scène compétent et capable de donner du sens à ses images, se focalise certes sur ses acteurs mais ne plante ni n’exploite jamais les décors dans lesquels ils évoluent. Au milieu de ce naufrage, le fantasticophile aurait aimé pouvoir au moins s’extasier sur le travail de Rick Baker. Mais comme ce dernier le raconte dans son autobiographie « Metamorphosis », Jack Nicholson s’était montré assez méprisant envers lui lors de leur première rencontre et n’avait pas envie de subir de longues séances de maquillage. Son idée était donc de jouer le loup-garou avec pour seul artifice un dentier et quelques grimaces pour faire bonne mesure. Bien que Baker ait convaincu la production d’appliquer un maquillage plus élaboré à la star, le résultat à l’écran reste anecdotique en regard de son travail révolutionnaire sur Le Loup-garou de Londres. Le scénariste Wesley Strick raconte que Mike Nichols voyait Wolf comme une évocation de « la mort de Dieu, le déclin de la civilisation occidentale et l’épidémie du SIDA ». Mais ou diable ont-ils caché tout ça dans le film ?
© Jérôme Muslewski
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