Dans un monde parallèle où les personnages de dessin animé côtoient les êtres humains, un lapin héros de cartoons est accusé de meurtre…
WHO FRAMED ROGER RABBIT
1988 – USA
Réalisé par Robert Zemeckis
Avec Bob Hoskins, Christopher Lloyd, Joanna Cassidy, et les voix de Charles Fleischer, Stubby Kaye, Mel Blanc, Lou Hirsch
Qui veut la peau de Roger Rabbit ? est un film rare et précieux, parce que peu de cinéastes auraient été capables de prendre en main un tel projet avec autant de maestria. Sans l’influence, l’opiniâtreté et l’enthousiasme de Steven Spielberg, voir Mickey Mouse et Bugs Bunny se donner la réplique ou Donald Duck et Daffy Duck se lancer dans un récital à quatre mains serait resté un fantasme inassouvi. Sans la minutie et la virtuosité de Robert Zemeckis, jamais l’interaction entre les toons et les êtres humains ne serait allée aussi loin, franchissant un cap qu’aucun film ultérieur n’est parvenu à ce jour à dépasser. Ça n’était pourtant pas gagné d’avance. Lorsque le roman « Qui a censuré Roger Rabbit ? » de Gary K. Wolf sort en librairie en 1981, rien ne le prédestine à priori à intéresser le studio Disney. Cette enquête policière située dans des années 40 alternatives, où les héros de dessins animés et les personnages en chair et en os se côtoient, parle tout de même de meurtres, d’alcoolisme et même de pornographie ! Mais Ron Miller, alors président de Disney, se laisse séduire par le concept et y voit un gros potentiel, après une révision complète des aspérités du récit bien sûr. Ce sera selon lui l’occasion de retrouver le grain de folie d’autres œuvres du studio mixant les acteurs réels et les créatures animées (Mary Poppins, L’Apprentie-sorcière, Peter et Elliott et consorts). Mais le projet est jugé trop coûteux et dort pendant quelques temps dans les tiroirs.
C’est la nomination de Jeffrey Katzenberg à la tête du studio Disney, l’arrivée de Steven Spielberg comme co-producteur et l’entrée en scène de Robert Zemeckis (en odeur de sainteté après les succès d’A la poursuite du diamant vert et Retour vers le futur) qui relancent Roger Rabbit, budgété à trente millions de dollars (une fortune à l’époque) et porté par une vision claire du réalisateur : une interaction permanente entre humains et toons, une mise en scène dynamique digne des films d’action de l’époque, une technique parfaite et invisible. En gros, Zemeckis n’aime pas la manière dont les films comme Peter et Elliott, trop statiques à son goût, gèrent le mélange animation/prises de vues réelles. Il veut révolutionner cette méthode. Pour y parvenir, il s’adjoint les services de Richard Williams (signataire des génériques du Retour de la panthère rose et de sa séquelle), qu’il nomme réalisateur de toutes les séquences d’animation. Œuvre conjointe de Jeffrey Price et Peter S. Seaman, le scénario reprend la trame principale du roman. Nous sommes en 1947, dans un Los Angeles parallèle. Hollywood jouxte la ville de Toontown, où vivent les personnages de dessins animés. Roger Rabbit, lapin acteur qui tient la vedette des cartoons produits par la compagnie Marron, est marié à la plantureuse Jessica Rabbit, une pin-up animée qui se produit dans les cabarets. Or un jour, il se retrouve accusé du meurtre de Marvin Acme, supposé entretenir une relation avec Jessica. Clamant son innocence, le lapin supplie le détective humain Eddie Valiant (Bob Hoskins) de rechercher le véritable assassin…
Un miracle
Humour violent, pastiches, personnages hyper-sexualisés… Nous sommes clairement plus proches ici de l’univers de Tex Avery que de celui de Walt Disney. En ce sens, Quoi veut la peau de Roger Rabbit ? fait un peu « tache » dans le monde alors aseptisé du studio de Mickey. D’autant que Robert Zemeckis ne se réfrène pas, transformant même Christopher Lloyd (ce bon vieux Doc Brown) en un super-vilain terrifiant capable de dissoudre les Toons récalcitrants dans un liquide bouillonnant à base de térébenthine, d’acétone et de benzène : la « Trempette ». La démonstration qu’il donne de cette redoutable mixture donne d’ailleurs lieu à une séquence à coup sûr traumatisante pour les tout jeunes spectateurs. Mais ce traitement parfois sombre de thématiques à priori enfantines est l’apanage de la compagnie Amblin, qui coproduit le film et entend bien le marquer de son empreinte. Techniquement, artistiquement, visuellement, rythmiquement, musicalement (Alan Silvestri y est en très grande forme), Qui veut la peau de Roger Rabbit ? est un véritable miracle, une œuvre-somme qui ose les ruptures de ton et le mélange des genres avec une audace folle qui aurait pu virer au patchwork ou à l’indigestion. Mais Zemeckis et Spielberg tiennent bon, trouvent l’équilibre parfait et accouchent d’un classique que personne – ni le Joe Pytka de Space Jam, ni le Henry Selick de Monkeybone, ni même le Joe Dante des Looney Tunes passent à l’action – ne parviendra à égaler. Les aventures du lapin facétieux se déclineront par la suite à l’occasion de trois courts-métrages : Bobo Bidon (1989), Lapin Looping (1990) et Panique au Pique-Nique (1993).
© Gilles Penso
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