Un pianiste de jazz assiste à l’assassinat d’une médium et devient obsédé par la recherche de l’assassin… Dario Argento au mieux de sa forme !
PROFONDO ROSSO
1975 – ITALIE
Réalisé par Dario Argento
Avec David Hemmings, Daria Nicolodi, Gabriele Lavia, Macha Meril, Eros Pagni, Giuliana Calandra
THEMA TUEURS I SAGA DARIO ARGENTO
Après L’Oiseau au plumage de cristal, Le Chat à neuf queues et Quatre mouches de velours gris, Dario Argento enchaîne avec un giallo un peu plus baroque. L’intrigue s’amorce lorsqu’une médium nommée Helga Ulmann (Macha Méril), de retour d’un congrès de parapsychologie, est en pleine conversation téléphonique dans un appartement luxueux. Argento crée immédiatement un climat d’étrangeté en ne cadrant que le haut de son visage, en insistant sur le long couloir orné de tableaux, en alternant les gros plans et les plans larges, les angles de vue en plongée et en contre plongée. On sonne à la porte. Lorsqu’elle ouvre, une main gantée abat sur elle un hachoir. Les pas de l’agresseur s’approchent. Alors que la victime chute au sol, le hachoir retombe plusieurs fois sur elle pour la frapper. Puis la main gantée s’empare des notes qu’elle a écrites, tandis que la bande originale prend d’étranges accents pop rock. Pendant ce temps, filmé dans un plan très large en plongée, le pianiste Marcus Daly (David Hemmings) marche dans la rue. En levant la tête, il voit Helga Ulmann qui hurle à sa fenêtre. L’absence de son renforce l’aspect déstabilisant de la scène. Surgissant derrière elle, la silhouette armée la frappe une nouvelle fois. Elle traverse alors la vitre, un gros plan nous montrant le verre qui entaille la chair. Ce premier meurtre est très violent, le sang y est exagérément écarlate, et l’impact de la séquence est spectaculairement amplifié par la partition du groupe pop rock Goblin avec lequel le réalisateur collabore pour la première fois. « Je cherchais un nouveau type d’atmosphère pour ce film », raconte Argento. « J’ai alors fait appel à Giorgio Gaslini, qui était un jazzman italien. Il a commencé à travailler sur la bande originale pendant que je tournais le film. Mais lorsque j’ai essayé d’intégrer sa musique dans le montage, j’ai trouvé que ça ne fonctionnait pas. Je n’ai conservé que quelques minutes de cette musique. J’ai écouté plusieurs démos, et puis j’ai découvert ce petit groupe qui ne s’appelait pas encore les Goblin. Leur musique était très intéressante, et j’ai misé sur eux. » (1)
Comme dans Quatre mouches de velours gris, nous avons d’ailleurs affaire à un héros musicien, si ce n’est que cette fois-ci il est pianiste dans un groupe de jazz. Perturbé par un tableau qu’il croit avoir vu chez la défunte et qui a entretemps disparu, ce dernier mène l’enquête avec une journaliste curieuse campée par Daria Nicolodi. Lorsqu’il se met à chercher des détails dans les cadres qui décorent l’appartement de la victime ou plus tard sur un macabre dessin d’enfant caché sur un des murs d’une villa, on ne peut s’empêcher de penser à Blow Up, dont David Hemmings tenait déjà la vedette. La majeure partie de l’œuvre d’Argento décline d’ailleurs ce thème antonionien du témoin en quête d’un détail qui complèterait son souvenir. « Nous faisons souvent confiance à notre mémoire, mais elle nous trahit plus qu’on ne veut bien l’admettre », explique Argento. « Et cette idée m’intéresse beaucoup. Chacun d’entre nous possède sa propre culture, ses propres références, ses propres idées de la vie, et ce sont autant de filtres qui viennent se superposer entre le fait réel et la mémoire. » (2)
Obsession
Dans son rôle de témoin mué en enquêteur opiniâtre, Hemmings s’avère de fait très convaincant. Sa volonté de percer à jour l’assassin sans solliciter la police est poussée par une obsession qui devient quasiment maladive lorsque vers la fin du film il risque sa vie, piolet à la main, bien décidé à découvrir les secrets de la villa où le mal prit sa racine. Cette obsession est alimentée par une chanson enfantine qui vient régulièrement envahir la bande-son du film jusqu’à donner le tournis. Les scènes où Hemmings partage l’écran avec Daria Nicolodi constituent des moments de pure comédie (d’autant que le couple se déplace dans une Fiat miniature aux portes bloquées et au siège passager cassé), dont la fraîcheur contrebalance avec l’horreur graphique (agrémentée de maquillages spéciaux très efficaces signés Germano Natali et Carlo Rambaldi) des meurtres en série. Mais c’est quand il ne se passe rien à l’écran, lorsque la caméra explore dans un silence oppressant les appartements des futures victimes, que l’angoisse atteint son paroxysme. Comme dans cette scène insolite qui alterne les très gros plans et les plans larges alors qu’Hemmings compose une mélodie au piano tout en se sachant épié, ses doigts insistant bientôt sur les graves comme pour traduire son inquiétude. Réunissant toutes les constantes classiques du giallo tel qu’il fut popularisé par des artistes comme Mario Bava (avec notamment ce tueur mystérieux tout de cuir vêtu), Les Frissons de l’angoisse bénéficie donc d’une infinité de trouvailles stylistiques et collectionne les images inquiétantes : les poupées pendues, l’œil qui s’ouvre brusquement dans l’obscurité d’un dressing, le surgissement d’un mannequin mécanique ricanant qui avance tout seul… Il s’agit de toute évidence d’une œuvre de transition, clôturant un début de carrière marqué sous le sceau du film policier horrifique pour ouvrir la porte vers le premier chef d’œuvre surnaturel d’Argento : Suspiria.
(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 2011
© Gilles Penso
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