LE CHAT NOIR (1981)

Lucio Fulci propose une version étrange de la célèbre nouvelle d’Edgar Poe sans renoncer à son goût de l’horreur graphique

IL GATTO NERO

 

1981 – ITALIE

 

Réalisé par Lucio Fulci

 

Avec David Warbeck, Al Cliver, Patrick Magee, Mimsy Farmer, Al Cliver, Dagmar Lassander, Bruno Corazzari, Daniela Doria

 

THEMA MAMMIFÈRES

L’affiche du Chat noir a beau clamer « d’après le chef d’œuvre d’Edgar Poe », cet exercice de style signé Lucio Fulci n’a pas grand-chose à voir avec la célèbre nouvelle dont il emprunte effrontément le titre. Certes, il y a bien un félin au pelage d’ébène dans le film, mais la ressemblance s’arrête à peu près là, à l’exception d’un climax s’affranchissant tardivement du texte original dont il est censé s’inspirer. Le récit, qui prend place dans un village anglais, démarre par la mésaventure d’un automobiliste constatant la présence incongrue d’un chat noir sur sa banquette arrière. Perdant le contrôle de son véhicule, il heurte une camionnette, traverse son pare-brise et brûle dans l’incendie de son moteur, tandis que l’animal s’en va tranquillement gambader plus loin. Nous découvrons alors nos deux héros : la photographe américaine Jill Trevers (Mimsy Farmer), qui prépare un reportage sur les pierres tombales, et l’inspecteur Gorly de Scotland Yard (David Warbeck), dépêché sur place pour enquêter sur la disparition d’un couple d’adolescents. Tous deux croisent bientôt la route de Robert Miles (Patrick Magee), un vieux médium excentrique persuadé qu’il peut communiquer avec les trépassés en appliquant un micro sur leur tombe. « La mort n’est pas la fin, ce n’est que le début d’un nouveau voyage », affirme-t-il à Jill, avant de se faire cruellement griffer par le fameux chat noir, qui se trouve lui appartenir, et qui semble le détester copieusement. « Nous sommes liés l’un à l’autre par la haine » explique Miles.

Si Patrick Magee interprète cet étrange scientifique avec son magnétisme habituel, il faut savoir que le rôle fut initialement proposé à Peter Cushing. Mais ce dernier déclina l’offre, associant le nom de Lucio Fulci à des films ultra-gore peu en accord avec ses propres goûts. Donald Pleasence refusa lui aussi d’endosser la défroque du savant fou. Aucun « grand nom » ne vient donc orner le générique du film, si ce n’est celui de Fulci lui-même, qui appose sa signature visuelle sur certaines séquences clés. Comme celle de l’ivrogne attaqué par le félin qui le pousse à se précipiter dans le vide et à s’empaler. Ou celle des jeunes disparus retrouvés morts et partiellement dévorés par les rats, enfermés dans un hangar à bateaux dont la clef a disparu et dont la climatisation a été mystérieusement coupée. Ou encore celle de la mère d’une des victimes qui meurt dans un brasier provoqué par le noir mammifère, son visage se consumant progressivement en gros plan. Pour ce bon vieux Miles, il n’y a pas de doute : son chat est l’auteur de tous ces assassinats. Il décide alors de faire cesser le massacre en empoisonnant puis en pendant son minou.

« Les chats ne reçoivent d’ordre de personne »

Dès lors, l’excentrique Miles est hanté par son geste et par des visions du gibet, tandis que la dépouille féline disparaît soudain sans laisser de trace. Le chat – visiblement un être surnaturel qui apparaît et disparaît au gré de sa volonté – serait-il possédé par un esprit humain ? Décevant, en regard des chefs d’œuvre horrifiques que Fulci réalisa à peine quelques années plus tôt, Le Chat noir se pare tout de même d’effets de mise en scène efficaces (la caméra rampe pour adopter le point de vue de la bête, les regards des comédiens sont souvent captés en très gros plans, le chef opérateur joue sur les reports de point). Saluons également le travail du dresseur qui obtient d’étonnantes performances de son matou, d’autant que, comme le déclare Miles dans le film, « les chats ne reçoivent d’ordre de personne ». Le cinéaste avoua plus tard qu’il accepta de réaliser Le Chat noir principalement pour rendre service à son producteur. Pour beaucoup, ce film marque un inexorable infléchissement artistique dans la carrière du maestro italien.

 

© Gilles Penso

 

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