ÉCOUTE VOIR (1979)

Catherine Deneuve mène l’enquête sur une arme redoutable mise au point par une secte religieuse pour contrôler la population

ÉCOUTE VOIR

 

1979 – FRANCE

 

Réalisé par Hugo Santiago

 

Avec Catherine Deneuve, Sami Frey, Florence Delay, Anne Parillaud, Didier Haudepin, Antoine Vitez, Jean-François Stévenin, François Dyrek

 

THEMA SUPER-VILAINS

Figure importante du cinéma argentin, Hugo Santiago fait ses débuts comme assistant de Robert Bresson. Partagé entre l’Argentine et la France, il tourne son premier long-métrage Invasion dans son pays natal, puis revient sur sa terre d’apprentissage pour réaliser Les Autres et Écoute voir, dont il co-écrit le scénario avec l’écrivain Claude Ollier. À la jonction de plusieurs genres cinématographiques, ce troisième long commence comme un polar teinté d’humour puis bascule dans le techno-thriller et la science-fiction sans jamais se départir d’une certaine distanciation qui nimbe l’œuvre d’une aura étrange et indéfinissable. Catherine Deneuve est emballée par le scénario, qui bouscule les habitudes établies et lui permet surtout de mettre de côté la féminité pour laquelle on l’embauche généralement. De fait, son rôle de détective privé est paré d’attributs tellement masculins (le feutre, l’imperméable, l’arme à feu et une belle maîtrise des sports de combat) qu’on pourrait facilement imaginer un homme à sa place sans que le scénario ait besoin d’être fondamentalement modifié, à une ou deux répliques près. Le prénom de son personnage (Claude) joue volontairement sur cette ambiguïté, soulignée dès l’entame du film. Lorsqu’elle gare sa Coccinelle dans la cour du château d’Arnaud de Maule (Sami Frey) qui fait appel à ses services, celui-ci s’étonne de voir débarquer une femme. « Vous attendiez qui ? » lui demande-t-elle avec un sourire au coin des lèvres. « Un homme à la voix nonchalante, la quarantaine, l’œil triste, le sourire dur », rétorque le jeune châtelain, brocardant volontairement les clichés post-Humphrey Bogart, ce à quoi il s’entend répondre : « Les temps ont changé ».

Si Arnaud de Maule a sollicité Claude Alphan, c’est pour enquêter sur les mystérieux visiteurs qui s’introduisent nuitamment dans son château, mais aussi sur la disparition de sa petite amie Chloé, incarnée par une Anne Parillaud encore « bébé » alors à peine âgée de 19 ans. Les investigations de notre intrépide détective l’emmènent sur les traces d’une secte religieuse aux nombreuses ramifications, l’Église du renouveau final, qui semble avoir mis au point une fréquence sonore capable de s’insinuer dans le cerveau des gens pour en prendre le contrôle. Cette invention permet, selon les propos du gourou de cette étrange église, de « ressusciter la conscience primitive ». Mais c’est surtout une arme redoutable qui, entre de mauvaises mains, pourrait faire des ravages. La science-fiction s’invite ainsi sans préavis au bout d’une demi-heure de métrage, au sein d’une scène pourtant très banale. Dans un bar tabac, au milieu des conversations animées, un son strident surgit soudain de la radio. Aussitôt, tout le monde se fige pendant quelques secondes et ne bouge plus qu’au ralenti. Plus aucun mouvement, plus aucune voix, un vide total et effrayant. Puis le son s’interrompt et les discussions reprennent comme s’il ne s’était rien passé. Le test à petite échelle de l’arme de l’Église du renouveau final s’avère particulièrement concluant…

« Raté mais très intéressant »

Le son étant au cœur de l’intrigue, il se décline sous toutes ses formes dans le film. Bandes magnétiques, cassettes, radios, micros, écouteurs, vinyls, dictaphones : on ne compte plus les dispositifs mis en scène par Santiago tout au long du récit. L’un des personnages clé d’Écoute voir travaillant sur des feuilletons radiophoniques, les bruitages et les sons de la réalité finissent même par se confondre, comme lorsque Claude écoute une voix off brutalement interrompue par le fracas d’un accident bien réel. Ces expérimentations semblent annoncer celles du Blow Out que Brian de Palma réalisera deux ans plus tard. La musique aussi s’inscrit étrangement dans le film. Souvent, elle trouve sa source directement à l’écran (le jazz que Claude écoute dans sa voiture, l’opéra qui résonne dans le château, l’orgue qui retentit dans la réunion religieuse, la musique classique qu’on entend dans l’appartement de Chloé). Même lorsqu’elle est déconnectée de l’action directe, elle garde son caractère de « son direct » en dotant du coup certaines séquences d’une touche de surréalisme (la voix off d’un pianiste qui chantonne, des accords de contrebasse pincée, des percussions lancinante). Le caractère expérimental du film est donc fascinant, tout comme sa mise en image. Mais Écoute voir sous-exploite son concept prometteur à cause d’une narration un peu confuse qui traîne en longueur et aurait mérité un rythme plus serré. « Raté mais très intéressant » : c’est en ces termes que Catherine Deneuve qualifiera le film quelques années après sa sortie discrète.

 

© Gilles Penso



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