Harold Ramis multiplie Michael Keaton par quatre pour les besoins d’une comédie fantastique à la lisière de la schizophrénie
MULTIPLICITY
1996 – USA
Réalisé par Harold Ramis
Avec Michael Keaton, Andie McDowell, Harris Yulin, Richard Masur, Zack Duhame, Katie Schlossberg, Eugene Levy, Ann Cusack, John de Lancie, Judith Kahan
THEMA DOUBLES
C’est sur le tournage d’Un jour sans fin qu’Harold Ramis découvre la nouvelle « Multiplicity » écrite par son ami Chris Miller. Le sujet l’intrigue et lui rappelle des problématiques très familières, notamment les difficultés qu’on peut éprouver à harmoniser une carrière bien remplie et une vie de famille épanouie. Après le triomphe de sa boucle temporelle enfermant Bill Murray dans un 2 février interminable, le cinéaste décide de persister dans la voie de la comédie fantastique et de transformer « Multiplicity » en long-métrage. C’est aussi l’occasion pour lui de retrouver la délicieuse Andie McDowell. Quant au rôle masculin principal, il échoit à Michael Keaton, qui fut à l’origine pressenti pour tenir la vedette d’Un jour sans fin, et que Ramis choisit ici pour son énergie folle et sa versatilité. L’ex-Batman de Tim Burton incarne Doug Keaney, le contremaître d’une entreprise de construction qui peine à concilier ses activités professionnelles – faites de complexités sans nom et entravées par la spectaculaire incompétence des ouvriers qui travaillent avec lui – et son rôle de père de famille. Plusieurs scènes de la vie quotidienne, captées avec beaucoup de naturalisme, nous montrent les tensions d’un couple qui se croise sans se voir. Son épouse Laura est frustrée de ne pas pouvoir reprendre son métier, tandis que Doug est à bout de nerfs à cause de son surmenage. Le ton reste léger, mais la crise qui couve est très crédible. C’est là qu’intervient l’argument fantastique. Alors qu’il pique une crise de colère chez un client, Doug découvre que ce dernier est un généticien ayant découvert le moyen de cloner un être vivant. Et s’il se prêtait à l’expérience ? Posséder un double, n’est-ce pas le moyen de mieux disposer de son temps, de reconquérir son épouse et de sauver son job ? Sur le point d’être dédoublé, notre héros émet quelques réserves, craignant de subir le même sort que Jeff Goldblum dans La Mouche, mais il finit par franchir le pas…
Que Mes doubles, ma femme et moi soit sorti la même année que le clonage de la célèbre brebis Dolly ne manque pas d’ironie et prouve à quel point le film d’Harold Ramis était dans l’air du temps. Pour autant, l’aspect science-fictionnel de l’intrigue est surtout un prétexte pour explorer la psyché humaine. L’aspect le plus intéressant du film est sans doute la séparation des différentes facettes d’une personnalité en entités autonomes. Si le clone n°1 est un macho acharné de travail, le n°2 un être sensible et attentionné et le n°3 un enfant turbulent dans un corps d’adulte, ce ne sont finalement que les reflets isolés du caractère de Buck, tour à tour misogyne, sentimental ou puéril. En les observant, notre héros se découvre lui-même et comprend qu’il ne s’épanouira qu’à condition de faire cohabiter ces identités à priori incompatibles dans un même corps. Et si les journées désespérément répétitives d’Un jour sans fin pouvaient être appréhendées comme la métaphore d’un état dépressif, cette subdivision des traits de personnalité raconte rien moins que la quête du maintien de l’équilibre psychologique.
Quand les clones font les clowns
Mais Harold Ramis ne cherche jamais à appesantir son film d’un discours pseudo-psychanalytique, pas plus qu’il ne s’intéresse aux noirceurs de l’âme humaine. La comédie reste son moteur, au point qu’il transforme le dernier acte de la nouvelle qu’il adapte – avec la bénédiction de son auteur – pour éviter un dénouement trop cynique et trop sombre. Les scènes d’interaction entre les quatre doubles sont des moments d’humour scénique hallucinants, s’appuyant sur le sens du timing infaillible de Michael Keaton, la mise en scène au cordeau d’Harold Ramis et des effets visuels impeccables supervisés par Richard Edlund (que le réalisateur sollicite après avoir apprécié la qualité de son travail sur S.O.S. fantômes). En quelques occasions, Multiplicity s’approche des facéties d’un Blake Edwards, notamment lors de ce dîner chaotique dans un restaurant huppé ou pendant cette soirée mémorable où Laura croise tour à tour les trois clones, persuadée qu’il s’agit toujours de son époux, et fait l’amour avec chacun d’entre eux ! Une audace qu’Harold Ramis a défendue coûte que coûte, face à des producteurs peu à l’aise avec un tel passage à l’acte. Le cinéaste n’aura pas totalement réussi à réitérer le miracle d’Un jour sans fin, cette seconde comédie fantastique accusant plusieurs baisses de rythme et quelques piétinements absents de son chef d’œuvre dédié au « Jour de la marmotte ». Mais la folie du postulat de départ, les audaces visuelles qui lui donnent corps, l’abattage délirant de Michael Keaton et le charme fou d’Andie McDowell emportent allègrement le morceau, le tout rythmé par le Big Band enjoué du compositeur George Fenton.
© Gilles Penso
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