Face à la caméra du co-auteur de la saga Saw, l’homme invisible devient un génie de la technologie doublé d’un dangereux pervers narcissique
THE INVISIBLE MAN
2020 – USA / AUSTRALIE
Réalisé par Leigh Whannell
Avec Elisabeth Moss, Aldis Hodge, Storm Reid, Harriet Dyer, Michael Dorman, Oliver Jackson-Cohen, Benedicte Hardie, Amali Golden
THEMA HOMMES INVISIBLES
Décidemment, le « Dark Universe » d’Universal supposé faire concurrence au « Cinematic Universe » de Marvel n’aura jamais vraiment décollé. En 2014, une vaine tentative est amorcée – et aussitôt oubliée – avec le maladroit Dracula Untold de Gary Shore. Trois ans plus tard, le studio fait une seconde tentative avec La Momie d’Alex Kurtzman et voit déjà grand : un nouveau film tous les ans, des superstars dans les rôles clés, des crossovers dans tous les sens… C’est dans cette mouvance un brin optimiste qu’est envisagé un nouvel Homme invisible avec Johnny Depp sous les bandages. Mais La Momie est un flop et le « Dark Universe » s’effondre une fois de plus comme un château de cartes. Alors s’opère un changement stratégique radical : exit les gros budgets et les têtes d’affiches, oubliés les longs-métrages qui s’assemblent les uns les autres comme autant de pièces d’un rubik’s cube. Les grands monstres d’Universal seront désormais modernisés dans des films autonomes aux budgets modestes. C’est là que Leigh Whannell entre en scène. Co-scénariste avec son complice James Wan des trois premiers Saw et de la saga Insidious, réalisateur des très efficaces Insidious : chapitre 3 et Upgrade, il se voit confier l’écriture et la mise en scène de ce nouvel Homme invisible qui sera finalement produit par Blumhouse, Universal se chargeant de distribuer le film. S’il conserve le concept initial imaginé par Herbert George Wells, le scénario d’Invisible Man change radicalement de point de vue en s’intéressant moins à l’homme invisible qu’à son épouse et victime. Celle-ci – personnage central du film – est incarnée par Elisabeth Moss, révélée par des séries TV telles qu’À la Maison Blanche, Mad Men et La Servante écarlate.
Invisible Man démarre « in media res », sans prologue ni exposition. Nous sommes dans une immense maison à l’architecture ultramoderne surplombant la mer. Au milieu de la nuit, Cecilia quitte le lit conjugal où dort encore son époux d’un sommeil profond, réunit ses affaires en quatrième vitesse et prend la fuite. La scène est presque banale, mais le jeu intense d’Elisabeth Moss (qui communique d’emblée aux spectateurs un sentiment de terreur sourde) et la mise en scène millimétrée de Leigh Whannell (qui transforme chaque recoin de la vaste demeure en vecteur potentiel d’épouvante) contribuent en quelques secondes à l’établissement d’un climat oppressant. Tout le film sera à l’avenant, appuyant ses mécanismes de peur sur une surprenante économie de moyens. De fait, les premières séquences d’Invisible Man font fi de tout élément fantastique pour décrire les ravages psychologiques d’une femme martyrisée par la tyrannie tranquille d’un pervers narcissique. Réfugiée chez un ami et sa fille adolescente, Cecilia est bardée de névroses et de phobies. Même lorsqu’elle apprend le suicide de son bourreau, son esprit ne connaît pas la tranquillité. Pire : elle le soupçonne d’avoir simulé sa mort et d’avoir trouvé un moyen de devenir invisible pour pouvoir l’espionner. Après tout, n’était-il pas un génial scientifique spécialisé dans l’optique ?
On me voit, on me voit plus
Pour évoquer la peur de l’invisible, Whannell fait preuve d’une inventivité indiscutable. Étirant le temps, cadrant les angles morts, attardant sa caméra sur des décors vides, jouant sur les silences, il évoque en creux cette menace imperceptible et pourtant terriblement palpable. La paranoïa de Cecilia contamine bien vite le spectateur qui croit voir le danger partout. A ce jeu, l’élément le plus anodin prend une tournure inquiétante. Et comme Whannell ne laisse rien au hasard, de nombreux détails disséminés au cours du film jouent à cache-cache avec le spectateur pour mieux le déstabiliser. Le nom des personnages principaux lui-même a été sélectionné avec soin. Si le redoutable Adrian Griffin doit son patronyme au roman de Wells, l’étymologie du prénom Cecilia nous ramène au principe même de la cécité (d’autant qu’en version originale son diminutif est « C », autrement dit « see »). Remarquable exercice de style échappant volontairement à l’influence de L’Homme invisible de James Whale ou de L’Homme sans ombre de Paul Verhoeven, le film se vit comme un cauchemar isolant progressivement son héroïne dans ses propres convictions, le reste du monde n’ayant d’autre choix que de la considérer comme une folle furieuse. Seule véritable fausse note, le dernier acte d’Invisible Man cherche à tout prix les twists et les coups de théâtre, quitte à nous asséner des rebondissements excessif qui gâchent sa cohésion globale. Immense succès au box-office mondial, le film de Whannell aura rapporté plus de vingt fois son budget initial de sept millions de dollars.
© Gilles Penso
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