Trente ans après la version culte de Nicolas Roeg, Robert Zemeckis s’empare à son tour du célèbre roman pour enfants de Roald Dahl
THE WITCHES
2020 – USA / MEXIQUE
Réalisé par Robert Zemeckis
Avec Anne Hathaway, Octavia Spencer, Stanley Tucci, Jahzir Kadeem Bruno, Chris Rock, Codie-Lei Eastick, Kristin Chenoweth, Charles Edwards, Morgana Robinson
THEMA SORCELLERIE ET MAGIE
Le célèbre roman pour enfants « Sacrées sorcières » de Roald Dahl avait été adapté avec le succès que l’on sait par Nicolas Roeg en 1990, Anjelica Huston y incarnant avec panache une redoutable « super-vilaine » bien décidée à se débarrasser de tous les enfants de la Terre. Trois décennies plus tard, Robert Zemeckis, quelque peu éreinté par le flop injustifié de Bienvenue à Marwen, décide d’en offrir sa propre relecture, signant lui-même le scénario de cette adaptation avec Kenya Barris (le Shaft de 2019) et Guillermo del Toro (qui avait envisagé de le réaliser lui-même sous forme d’un film d’animation en stop-motion). La liberté majeure prise avec le roman de Dahl est d’avoir transformé le jeune héros et sa grand-mère en Afro-Américains et d’avoir situé l’action dans l’Amérique des années soixante, d’où l’emploi d’un certain nombre de standards de la soul pour enrichir une bande originale flamboyante signée par le fidèle Alan Silvestri. Sacrées sorcières est le dix-huitième long-métrage que Zemeckis et Silvestri ont en commun, point d’orgue d’une collaboration marquée par des œuvres aussi inoubliables que la trilogie Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ou Forrest Gump. Cette comédie fantastique est une nouvelle occasion pour le compositeur de lancer à l’assaut des spectateurs une charge orchestrale puissante, au service de séquences d’action très mouvementées, de passages d’épouvante au second degré et de moments ouvertement comiques.
Narré en voix off par Chris Rock, qui interprète vocalement le héros à l’âge adulte, le récit reprend la trame du roman original et – malgré ses quelques écarts – se veut plus fidèle au texte de Dahl, y compris dans ses moments les plus sombres. Le jeune héros (incarné par Jahzir Bruno) assiste ainsi à l’accident de voiture qui coûte la vie à ses parents, ce qui n’était pas le cas dans la version de Nicolas Roeg. Quant au final, il ne se conforme pas au happy-end imaginé en 1990 pour mieux coller à la prose de l’auteur de « Charlie et la chocolaterie ». Pour le reste, Sacrées sorcières prend les atours d’un remake des Sorcières qui le précédèrent. Devenu orphelin, notre pauvre protagoniste est ainsi emmené en vacances par sa grand-mère (Octavia Spencer) dans un grand hôtel où il découvre qu’une pseudo-conférence contre la maltraitance des enfants cache une réunion de sorcières menée par une redoutable souveraine, la fameuse Grandissime. Prenant la relève d’Anjelica Huston, Anne Hataway ne démérite pas. Aussi crédible en mégère hautaine à l’accent indéfinissable qu’en créature monstrueuse au corps extensible, la Reine Blanche d’Alice au pays des merveilles et la catwoman de The Dark Knight Rises assure le spectacle. Mais – signe des temps – les effets spéciaux 100% physiques de la version de Nicolas Roeg (maquillages spéciaux, prothèses, marionnettes) cèdent le pas aux trucages numériques. Et à ce jeu, la version de Zemeckis souffre de la comparaison. Car pour impressionnantes qu’elles soient, ces altérations de la morphologie de la Grandissime sorcière (une bouche démesurée, des mains à trois doigts griffus, des pieds mono-orteils, des narines extensibles) manquent singulièrement de caractère et de style. On le sait, l’imperfection des effets « analogiques » les dotait d’un charme qui fait souvent défaut à leurs contreparties digitales. C’est indiscutablement le cas ici. Ce qui n’empêche pas Zemeckis et son équipe de développer des idées visuelles audacieuses, la plus étonnante d’entre elles étant la métamorphose des humains en souris. Ces derniers s’éjectent dans les airs, puis leurs habits retombent au sol, jusqu’à ce qu’un rongeur hystérique ne s’en extraie frénétiquement.
Mes sorcières mal aimées
Au-delà du relatif manque de personnalité des effets du film, Sacrées sorcières semble trahir la paresse artistique d’un réalisateur qui fait pourtant objectivement partie des plus doués et des plus inventifs de sa génération. En pilote automatique, comme s’il signait une œuvre télévisuelle destinée à Netflix, il signe une mise en scène propre mais un peu anonyme… du moins jusqu’à ce que son jeune protagoniste se transforme en souris. Là, Zemeckis semble enfin pouvoir s’épanouir, mêlant animation et prises de vues réelles avec une maestria indiscutable, et maniant sa caméra immersive en virtuose. La bride sur le cou, il se lâche enfin, prolongeant même le récit que nous connaissons au-delà de son climax pour aménager de nouvelles séquences de suspense et d’action, notamment la délirante confrontation finale dans la chambre 666. Ces exubérances ne suffisent pas à surpasser Les Sorcières produites par Jim Henson mais permettent au moins aux jeunes spectateurs – à qui le film est principalement destiné, de toute évidence – de passer un bon moment, entre émerveillement et frissons, conformément au texte dont il s’inspire. Pandémie oblige, Sacrées sorcières ne sortit finalement pas au cinéma, comme initialement prévu, mais atterrit sur les petits écrans de la plateforme HBO Max.
© Gilles Penso
Partagez cet article