Jeff Bridges, animateur radio arrogant et alcoolique, réalise qu’il est responsable de la déchéance sociale de Robin Williams, en proie à de terrifiantes visions…
THE FISHER KING
1991 – USA
Réalisé par Terry Gilliam
Avec Jeff Bridges, Robin Williams, Mercedes Ruehl, Amand Plummer, David Hyde Pierce, Michael Jeter, Tom Waits
THEMA RÊVES
Commençons avec une question que certains se posent peut-être : que vient faire Fisher King dans cette encyclopédie du fantastique ? Si l’on s’en tient strictement à l’histoire, rien. Mais le fait qu’il s’agisse d’un film de Terry Gilliam lui octroie presque d’office une dérogation, justifiée qui plus est par la présence, certes limitée, de quelques visions cauchemardesques et surréalistes au menu. Celles-ci s’avèrent d’ailleurs moins intéressantes en soi que pour ce qu’elles traduisent du rapport du réalisateur au Fantastique, et donc de son état d’esprit à ce stade de sa carrière. Car Fisher King marque à plusieurs titres la rupture définitive de Terry Gilliam avec l’héritage pythonesque : il s’agit tout d’abord de son premier film 100% américain, ainsi que le premier dans lequel aucun de ses anciens compères n’apparait. Mais c’est aussi et surtout un film de commande : après les productions compliquées et tapageuses de Brazil et Les Aventures du Baron de Munchausen, le trublion Gilliam a-t-il voulu rentrer dans le rang ? Ou tenter de se faire une place à Hollywood en montrant qu’il était capable de boucler un projet dans les temps et le budget impartis ? Jack Lucas (Jeff Bridges), célèbre animateur radio new-yorkais provocateur et arrogant, incite malgré lui un auditeur déséquilibré à ouvrir le feu sur la clientèle d’un restaurant. Le temps passe mais Jack ne parvient pas à surmonter sa culpabilité. Devenu une véritable épave, alcoolique et même suicidaire, il a déserté les ondes. Agressé une nuit par une bande de voyous, il est secouru par Perry (Robin Williams), un ancien professeur devenu sans-abri après que sa femme ait perdu la vie dans la fusillade causée par Jack quelques années auparavant. Il s’avère que Perry est un illuminé convaincu que le Saint Graal se trouve à New-York et qu’il a pour mission de le retrouver. Jack décide d’aider ce pauvre hère afin de se racheter… Sur cette trame dramatique se greffe une autre intrigue qui voit Jack et sa compagne Anne (Mercedes Ruehl) jouer les entremetteurs en présentant Perry à Lydia (Amanda Plummer), une fille que celui-ci observe tous les jours à la sortie des bureaux mais qu’il n’a jamais osé aborder.
Terry Gilliam fait preuve d’une efficace sobriété de mise en scène dans les moments intimistes et de comédie (dramatique) du film, permettant à son quatuor d’acteurs principaux de développer leurs personnages. Bien sûr, Robin Williams en fait parfois trop. Gilliam déclarait d’ailleurs à la sortie du film qu’il suffisait de laisser l’acteur s’épuiser sur plusieurs prises afin d’obtenir un jeu plus sobre. Gageons qu’il reste un certain nombre de premières prises dans le film, même si le pire cabotinage concerne heureusement les moments durant lesquels Perry craque, en proie aux visions du chevalier rouge. Robin Williams recourt visiblement beaucoup à l’improvisation mais la folie douce de son jeu va évidemment de pair avec celle du personnage, qui séjournera dans un hôpital psychiatrique. Gilliam, au diapason, semblait n’attendre que ces débordements narratifs pour ressortir ses objectifs grand-angle type « fish eye » et livrer quelques gros plans et angles obliques dont il a le secret. De façon plus élégante, quelques scènes lui permettent de verser dans la pure poésie, comme le hall de la gare centrale en pleine heure de pointe se transformant en salle de bal, les passants entamant une valse sous les lumières miroitantes d’une boule à facettes, alors que Perry, transi d’amour, observe Lydia dans la foule. C’est sûrement là LA scène qui reste gravée en mémoire après la vision du film. D’autres visions fantastiques parsèment le film et les apparitions du Chevalier Rouge renvoient notamment aux travaux précédents de Gilliam, en partie grâce à Roger Pratt, chef opérateur fidèle qui signa déjà l’image de Sacré Graal et Brazil.
Sacré Graal
Le scénario n’envisage évidemment jamais la quête du Saint Graal comme une éventualité fantastique au premier degré. Tout ici n’est que symbole, comme le nom de Perry qui évoque un diminutif à l’américaine de Perceval, lequel terrassa justement le chevalier dans la légende du Roi Pêcheur – le gardien du Saint Graal, blessé, en attente de guérison. Mais si Robin Williams est Perceval, c’est donc Jack qui incarne le Roi Pêcheur, impliquant que lui aussi doit être sauvé. Fisher King avait tout du projet oscarisable pour la Columbia : en guise de Graal, c’est une statuette dorée que devaient convoiter ses deux interprètes principaux. Le film n’en est pas pour autant impersonnel, car la personnalité torturée de Gilliam le contamine et permet de traduire à l’écran les états d’âmes et le désespoir des personnages, tout comme la représentation de la rue et des sans-abris qui tient plus de l’asile à ciel ouvert que de la carte postale touristique de la Grosse Pomme. Mais si trahison il y a envers le genre Fantastique, dont Gilliam avait jusque-là été un fervent serviteur, elle provient du choix d’épouser le point de vue de Jack, le cynique, le rationnel. Avant ce film, Gilliam aurait au contraire épousé celui du « fou » et de l’affabulateur, comme il l’avait fait dans Les Aventures du Baron de Munchausen. On peut voir dans Fisher King une forme de doute ou de renoncement de sa part envers sa propre foi en la Fantaisie. Un phénomène similaire se produira chez Tim Burton avec Big Fish, dans lequel le héros refuse aussi de croire aux histoires de son père. Fisher King reste malgré tout un film foisonnant d’idées et dramatiquement riche. Certes, en termes de réalisation, la schizophrénie guette, entre sobriété et débordements, mais cette propension à opposer le chaos à l’ordre, à l’écran comme en coulisses, étant presque une marque de fabrique, nul ne peut nier que Fisher King est bel et bien un film de Terry Gilliam.
© Jérôme Muslewski
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