Au cœur de la troisième guerre mondiale, un médecin aigri et taciturne s’éprend d’une jeune infirmière idéaliste
LE TOUBIB
1979 – FRANCE
Réalisé par Pierre Granier-Deferre
Avec Alain Delon, Véronique Jannot, Bernard Giraudeau, Francine Bergé, Michel Auclair, Catherine Lachens, Bernard Le Coq, Henri Attal, Jean-Pierre Bacri, Dominique Zardi
THEMA POLITIQUE FICTION I FUTUR
À la fin des années 70, Alain Delon a déjà tourné avec les plus grands et cherche à se renouveler. Persuadé que le public attend de lui une histoire d’amour sur fond de tourmente, il se laisse séduire par le roman d’anticipation « Harmonie ou les horreurs de la guerre » de Jean Freustié et décide d’en produire une adaptation en s’octroyant bien sûr le rôle principal. Pierre Granier-Deferre, qui l’a déjà dirigé dans La Veuve Couderc et La Race des seigneurs, se voit proposer la mise en scène. Ce sera le quinzième long-métrage du réalisateur de La Métamorphose des cloportes, Le Chat et Adieu poulet. Reste à trouver l’heureuse élue qui fera chavirer le cœur du personnage incarné par Delon. Kristin Scott-Thomas et Carole Bouquet sont sur les rangs. La première est recalée à cause de son accent anglais, la seconde à cause de sa froideur, et l’on opte finalement pour Dominique Laffin, vue notamment dans Dites-lui que je l’aime de Claude Miller. Mais la comédienne ne s’entend pas du tout avec Delon, dont les idées ne sont pas assez progressistes à son goût, et sera remplacée par Véronique Jannot. À peine âgée de 22 ans, l’ingénue était jusqu’alors spécialisée dans les séries TV. Elle tient donc ici son premier grand rôle pour le cinéma.
Nous sommes en 1983, soit quatre ans dans le futur. La troisième guerre mondiale a éclaté et fait des ravages en Europe. A l’arrière des lignes, le personnel médical d’une antenne chirurgicale installée en pleine campagne vit au rythme des hélicoptères qui charrient quotidiennement leur lot de blessés et de grands brûlés. Taciturne, cafardeux, brisé par le départ récent de sa femme, le chirurgien Jean-Marie Despré (Delon) se consacre à son travail et à ses malades avec une rudesse et une sévérité qui semblent directement inspirés par la personnalité réelle du comédien/producteur. Un jour, une jeune infirmière (Jannot) rejoint l’équipe médicale. Répondant au prénom d’Harmony, elle est trop souriante, trop optimiste, trop fragile aux yeux de Despré. Selon lui, elle n’a pas sa place parmi eux. Mais il se laisse progressivement attendrir, au point de lui avouer « vous me plaisez bien, Harmony » lorsqu’il la trouve endormie sur un lit de camp, épuisée par une charge de travail trop astreignante. Pourtant, lorsque le jour se lève, il reprend sa carapace de gros dur odieux et antipathique. Quand elle lui demandera de l’embrasser, il se contentera de répondre : « ce n’est ni le jour, ni le lieu, ni le bonhomme. » « Même sa gentillesse est brutale » commentera la cantinière incarnée par Catherine Lachens.
Les horreurs surréalistes de la guerre
S’il ne brille pas toujours par la finesse de ses dialogues (écrits pourtant par le talentueux Pascal Jardin) ou par la subtilité d’un jeu d’acteur privilégiant trop souvent les archétypes attendus (Delon fait la tête, Jannot sourit tristement, Giraudeau fanfaronne, Lachens plane), Le Toubib laisse une empreinte durable parce qu’il aborde frontalement une question finalement toute simple : une romance sincère est-elle possible dans un contexte marqué par la violence, le sang et la mort ? Et pour que cette problématique soit traitée sous un angle universel, rien ne vaut une guerre imaginaire et futuriste qui les symbolise toutes. Adopter le point de vue de médecins militaires est finalement le meilleur moyen de pointer du doigt l’absurdité des combats. Les soldats n’en finissent plus de se jeter sur les champs de bataille pour revenir estropiés et se faire soigner, selon un manège ridicule et lancinant. Entre deux séquences martiales (l’interminable défilé des engins militaire permis par la collaboration étroite de l’armée de terre avec la production) et bucoliques (les promenades champêtres de nos amoureux transis), Le Toubib est ponctué de séquences surprenantes qui transcendent cette love story sur fond de guerre pour faire entrer le film dans une autre dimension. Témoin ce village irradié en ruines où Harmony imagine furtivement la vie passée d’un village plein de vie, cette vision macabre d’un immense convoi réduit en cendres et jonché de corps mutilés, le surgissement surréaliste d’un char d’assaut amphibie hors des eaux paisibles d’un étang duquel émergeait quelques secondes plus tôt Véronique Jannot rejouant en tenue d’Ève la Venus de Botticelli, ou encore cette séquence cauchemardesque où une multitude de corps de soldats pétrifiés a littéralement fusionné avec les parois d’une caverne. D’une noirceur inattendue, le final est hélas atténué par une grandiloquence de mauvais goût, au détriment d’une demi-mesure dont l’impact aurait certainement été beaucoup plus fort.
© Gilles Penso
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