Julien Duvivier se réapproprie la célèbre légende juive et met en scène un colosse d’argile digne du monstre de Frankenstein
LE GOLEM
1936 – FRANCE
Réalisé par Julien Duvivier
Avec Harry Baur, Germaine Aussey, Jany Holt, Roger Karl, Charles Dorat, Roger Duchesne, Gaston Jacquet, Raymond Aimos, Ferdinand Hart, Tania Doll
THEMA SORCELLERIE ET MAGIE
Le Golem est une œuvre à part dans la longue filmographie de Julien Duvivier, plus enclin à dresser un portrait réaliste de ses semblables qu’à se laisser porter par le Fantastique, même s’il se laissera tenter une nouvelle fois par le genre trois ans plus tard avec La Charrette fantôme. Ici, il semble presque vouloir rendre hommage au cinéma expressionniste allemand et aux films de monstres des studios Universal qui fleurissaient sur les écrans du monde entier depuis le début des années trente. Librement inspiré d’une pièce de Jiri Voskovec et Jan Werich, son Golem peut d’ailleurs s’appréhender comme une séquelle de celui de Paul Wegener, puisqu’il se situe après les événements narrés dans la version des années 20. Tourné non en France mais aux studios Barrandov de Prague – ce qui renforce le côté atypique de ce film au sein de la carrière du cinéaste – Le Golem commence par une phrase qui nous renvoie directement à la figure du monstre de Frankenstein : « Créer la vie artificiellement fut de tout temps le problème qui passionna la science. » Ce ne sera pas la seule allusion du film à l’œuvre de Mary Shelley et à ses adaptations cinématographiques.
La légende dit que Rabbi Loew créa en 1560 un Golem en argile pour protéger les Juifs du ghetto de Prague. Cette créature à la force exceptionnelle parvint à accomplir sa mission de manière spectaculaire, puis son corps fut abandonné dans le grenier de la vieille synagogue lorsque Loew rendit l’âme en 1610. Son fils spirituel, le jeune rabbin Jacob, connaît le secret du Golem, et son épouse Rachel le conjure de le ranimer. En effet, la situation est à nouveau critique dans le ghetto, frappé par la peste et menacé par un empereur tyrannique et déséquilibré, Rodolphe II. Obsédé par l’alchimie et l’astrologie, celui-ci ne semble vivre que pour retrouver le Golem, qui occupe toutes ses pensées de manière de plus en plus irrationnelle. Personne ne remet en cause l’existence de la créature, mais son corps pourtant imposant reste introuvable. Pour satisfaire son idée fixe, Rodolphe ordonne au chancelier Lang, un Juif converti désormais rallié à sa cause, de semer la terreur dans le ghetto, quitte à enlever et torturer Jacob pour le faire parler.
Les mésaventures de Rabbi Jacob
Dans le rôle du despote débauché et psychopathe, Harry Baur est flamboyant, crevant l’écran avec emphase, souvent hélas au détriment des autres comédiens. Les prestations de Roger Karl en chancelier veule et de Jany Holt en vaillante épouse du rabbin sont tout de même mémorables, le reste du casting s’avérant beaucoup moins marquant. Le film est constellé de séquences savoureuses où l’humour noir de Duvivier reste intact, comme lorsqu’un charlatan essaie de vendre à Rodolphe une épée ayant soi-disant appartenu à Charlemagne. Mais les intrigues de palais occupent la majeure partie de l’intrigue du Golem, et le spectateur finit légitimement par se demander s’il finira par voir cette fameuse créature. En réalité, le réalisateur ménage ses effets, retenant le plus longtemps possible l’apparition de cet être de légende. Le Golem est enfin visible à mi-parcours du métrage, mais étant donné que c’est à travers les yeux alcoolisés de Rodolphe, ne s’agirait-il pas d’une hallucination ? Filmée en contre-plongée, mise en lumière par un éclairage extrêmement dramatique, la statue encore immobile fait son petit effet. Le crâne chauve, le teint blafard, les arcades proéminentes, la bouche serrée, le regard perçant, le Golem menace de s’animer d’un instant à l’autre. Il ne le fera qu’à la fin du film, le temps d’un climax surprenant où le monstre, enchaîné comme Boris Karloff dans La Fiancée de Frankenstein, libère les prisonniers, abat les murs, dévaste le palais, renverse l’oppresseur avec une frénésie destructrice inattendue et libératrice. Les bourreaux deviennent victimes, écrasés sous les décombres, dévorés par les fauves… Sous les apparats d’une chronique historique basculant dans le cinéma catastrophe et le film d’horreur, Duvivier raconte la réalité d’une époque assombrie. Car le mythe universel du Golem redevient d’une triste actualité au milieu des années trente, alors que le nazisme fomente l’éradication du peuple juif.
© Gilles Penso
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