Dans un monde futuriste, l'émission télévisée qui fait fureur consiste à filmer jour après jour le quotidien d’une personne en train de mourir
LA MORT EN DIRECT / DEATH WATCH / DER GEKAUFTE TOD
1980 – FRANCE / ALLEMAGNE
Réalisé par Bertrand Tavernier
Avec Romy Schneider, Harvey Keitel, Harry Dean Stanton, Thérèse Liotard, Max von Sydow, Caroline Langrishe, William Russell
THEMA FUTUR I CINÉMA ET TÉLÉVISION
Pour son cinquième long-métrage (après L’Horloger de Saint-Paul, Que la fête commence, Le Juge et l’assassin et Des enfants gâtés, quel démarrage de carrière en fanfare !), Bertrand Tavernier décide d’adapter le roman « The Continuous Katherine Mortenhoe, or The Unlseeping Eye » de David Guy Compton. Particulièrement séduit à l’idée de réaliser un film de science-fiction situé dans un cadre contemporain et réaliste, sans futurisme ni technologie trop voyante, il aime aussi le caractère orwellien du livre. Car cette idée d’une surveillance vidéo 24 heures sur 24 rappelle par bien des aspects « 1984 ». Les autres éléments qui séduisent Tavernier sont les liens qu’il va pouvoir tisser avec Le Voyeur de Michael Powell, l’un de ses films de chevet, et avec le cinéma fantastique de Jacques Tourneur, plus porté sur la suggestion que sur la démonstration. La Mort en direct sera d’ailleurs dédié à la mémoire de Tourneur. Avec le recul, on est pris de vertige face à l’incroyable caractère prophétique du livre – et donc du film – vis-à-vis d’un phénomène qui ne portait pas encore de nom et qui s’appellerait plus tard « télé-réalité ». Devançant Le Prix du danger de quelques années, En direct sur Ed TV et The Truman Show de presque deux décennies, La Mort en direct annonce les dérives de la télévision voyeuriste mais aussi la surexposition des vies privées via les réseaux sociaux. En 1980, les chaînes de TV françaises sont toutes publiques. Conscient qu’une émission fictive comme « La Mort en direct » ne pourrait exister que sur un canal privé, Tavernier cherche à filmer ailleurs et s’installe finalement à Glasgow où il tournera l’intégralité du film en anglais.
« La Mort en direct » est donc le programme phare de la chaîne imaginaire NTV, suivi par des millions de téléspectateurs. Le principe consiste à filmer jour après jour la fin de vie d’une personne ayant donné son accord pour s’exposer publiquement jusqu’au trépas. Triste constat d’une nature humaine arrivée au bout de ce qui pouvait la distraire, le film se situe dans un avenir proche où les ordinateurs écrivent eux-mêmes les livres et où les gens calment leurs maux et leurs états d’âme avec toutes sortes de pilules. Katherine Mortenhoe (Romy Schneider) semble être la candidate idéale de la nouvelle saison de « La Mort en direct » (« Death Watch » en anglais). Riche, belle, le caractère bien trempé, elle est condamnée par une maladie incurable qui ne lui laisse que quelques semaines à vivre. Refusant catégoriquement d’y participer, elle devient l’objet d’un attroupement médiatique et s’entend dire par un journaliste qu’« il y a une certaine gloire un peu triste à mourir comme avant ». Car dans cette société futuriste, les plus grandes maladies ont été éradiquées. Se ravisant, elle accepte l’offre afin que son époux soit à l’abri du besoin, mais elle prend la fuite et échappe à toutes les caméras qui auraient pu la traquer. Catherine souhaite finir ses jours dans l’anonymat, loin de tous. Dans un refuge pour sans-abris, elle fait la connaissance de Roddy (Harvey Keitel) qui décide de l’accompagner. Ce dernier est en réalité un homme engagé par NTV, qui possède une caméra miniaturisée greffée dans l’œil et va donc pouvoir filmer ses derniers jours à son insu…
Les voyeurs
Très inspiré par son sujet, Tavernier demande au compositeur Antoine Duhamel d’écrire une musique lyrique pour un orchestre à cordes et réserve quelques moments virtuoses aux spectateurs, comme ce long chassé-croisé dans la fête foraine filmé en plan-séquence au steadicam. La caméra adopte par ailleurs régulièrement le point de vue subjectif de Roddy, comme pour nous rendre nous aussi complices de cette trahison qui consiste à voler l’intimité d’une mourante sans son consentement. La Mort en direct s’appuie sur la performance d’un trio d’acteurs exceptionnel, chacun étant le premier et seul choix du cinéaste. Harry Dean Stanton s’avère parfait en directeur de chaîne sans scrupule, affirmant que la mort est la nouvelle pornographie. Tavernier fait décorer son bureau avec des posters du Masque de la mort rouge, de L’Homme aux rayons X, de L’Homme qui rétrécit ou de L’Étrange créature du lac noir, comme pour assumer ouvertement le caractère fantastique de son film. En disgrâce à Hollywood à l’époque à cause de plusieurs échecs successifs au box-office (sans compter son renvoi du tournage d’Apocalypse Now), Harvey Keitel excelle ici dans un registre complexe, celui d’un homme qui abandonne son cynisme couche après couche pour se mettre à nu. Le voyeur finit ainsi par devenir pudique avec l’objet qu’il filme et court le risque de s’attacher. Quant à Romy Schneider, elle nous touche profondément par cet insaisissable mélange de force de faiblesse qu’elle seule savait véhiculer avec une telle alchimie. Sa performance de femme condamnée dont les caméras saisissent l’agonie est d’autant plus perturbante que la comédienne disparaîtra deux ans plus tard, cernée de près par les tabloïds.
© Gilles Penso
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