Trois hommes des cavernes partent aux confins de leurs terres pour ramener du feu à leur tribu, seul moyen de survivre en ces âges farouches
LA GUERRE DU FEU
1981 – FRANCE
Réalisé par Jean-Jacques Annaud
Avec Everett Mac Gill, Ron Perlman, Nameer El Kadi, Rae Dawn Chong, Gary Schwartz, Franck-Olivier Bonnet, Robert Lavoie
THEMA EXOTISME FANTASTIQUE
La préhistoire au cinéma a souvent été traitée sous un angle joyeusement anachronique, mêlant si possible des pin-up en peaux de bête et des dinosaures agressifs dans une jungle artificielle généralement promise à un cataclysme volcanique en fin de métrage. Cette convention fantaisiste, portée aux nues par des œuvres telles qu’Un million d’années avant JC ou Quand les dinosaures dominaient le monde, est un régal pour les amateurs de ce qu’on pourrait appeler la « Prehistoric-Fantasy ». Mais il manquait de toute évidence une approche crédible et paléontologiquement correcte des âges antédiluviens, traduisant les mœurs de nos ancêtres des cavernes avec un maximum de réalisme. C’est à cette mission audacieuse que s’est employé Jean-Jacques Annaud, dont la filmographie jusqu’alors axée sur la comédie contemporaine doublée d’une critique sociale (La Victoire en chantant, Coup de tête) ne laissait pas imaginer un tel virage artistique. « On m’a toujours reproché de faire des films trop onéreux et trop risqués », nous avoue le cinéaste « Imaginez lorsque j’ai eu envie de faire La Guerre du feu : un film sans star, parlé dans un langage inventé… Tout le monde pensait que j’étais un fou furieux. Après ce film, on m’a catalogué comme un réalisateur de films d’action violents avec des acteurs qui courent les fesses à l’air ! » (1) Rétif à toutes les étiquettes, Annaud s’empare donc du roman préhistorique de J.H. Rosny Aîné, publié en 1909, demande à Gérard Brach d’en tirer un scénario et nous transporte 80 000 ans avant notre ère.
En ce temps-là, le feu est l’un des biens les plus précieux. Il réchauffe, éclaire, cuit, protège. « C’était le Père, le Gardien, le Sauveur, plus farouche cependant, plus terrible que les mammouths, lorsqu’il fuyait de la cage et dévorait les arbres », raconte avec verve Aîné dans les pages de son « roman des âges farouches ». Mais si les hommes de la tribu des Ulam savent entretenir le feu, ils ignorent comment le créer. Le jour où leur foyer sacré s’éteint suite à une attaque de Néanderthaliens, tout espoir semble perdu. Trois guerriers acceptent de traverser de lointaines étendues sauvages pour le retrouver. Leur chemin sera semé de bêtes préhistoriques et de tribus hostiles. Violent (le combat contre les hommes-singes, l’attaque des loups), épique (la charge des mammouths), drôle (la fuite devant les tigres à dents de sabre), trivial (l’accouplement au bord de l’eau), La Guerre du feu est le fruit d’un travail logistique impressionnant. Budgété à douze millions de dollars, le film est tourné en Écosse et au Kenya entre novembre et décembre 1980, puis au Canada entre avril et mai 1981. Ce tournage globe-trotter sollicite une véritable armée de maquilleurs, de perruquiers et de costumiers, sans compter une vingtaine d’éléphants déguisés en mammouths qui dévorent les poils de leur fausse fourrure et détruisent allègrement les accessoires du film. Mais Jean-Jacques Annaud et son équipe tiennent bon et mettent en boîte un film unique en son genre.
Préhistoire vraie
La réussite de La Guerre du feu passait par la mise en scène de héros préhistoriques plus vrais que nature. D’où l’inestimable travail combiné du maquilleur Christopher Tucker (Elephant Man) épaulé par Sarah Monzani (Dark Crystal) et Michèle Burke (Le Monstre de train), du professeur de mime Desmond Jones et de l’écrivain Anthony Burgess (« Orange mécanique ») chargé d’inventer le langage de ces héros antédiluviens. L’apport du compositeur Philippe Sarde s’avère tout aussi précieux. Ses compositions tribales évoquent Igor Stravinsky, ses chœurs éplorés traduisent le désarroi du peuple privé de son feu, ses cors héraldiques accompagnent la mission dont sont investis les trois personnages principaux… Fort de son approche ultra-réaliste, La Guerre du feu peut-il réellement être considéré comme un film fantastique ? Sans doute pas au sens strict, surtout si on le compare aux films de dinosaures de la Hammer ou à L’Homme des cavernes de Carl Gottlieb sorti la même année sur les écrans. Mais la reconstitution des âges préhistoriques, si documentée fut-elle, entre dans une convention du genre que certains ont définie sous le terme de « rétrocipation », par opposition à l’anticipation. Cette vision forcément fantasmée d’un passé si lointain dépasse le statut de « livre d’histoire animé » pour nous transporter aux confins de l’imagination, au seuil d’une humanité naissante dont Stanley Kubrick nous donnait déjà un troublant aperçu en guise d’introduction de 2001 l’odyssée de l’espace. Sans doute n’est-ce pas un hasard si Philippe Druillet, pilier de la BD de science-fiction, a été sollicité pour concevoir le célèbre poster du film. En 1982, l’audace de Jean-Jacques Annaud fut récompensée par le César du meilleur film et celui du meilleur réalisateur.
(1) Propos recueillis par votre serviteur en mars 2004
© Gilles Penso
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