Un chien redoutablement intelligent, guidé par ses instincts primitifs et son absence totale d’empathie, devient le compagnon d’un petit garçon très inquiétant…
BAXTER
1989 – FRANCE
Réalisé par Jérôme Boivin
Avec Lise Delamare, Jean Mercure, Jacques Spiesser, Catherine Ferran, Jean-Paul Roussillon et la voix de Maxime Leroux
THEMA MAMMIFÈRES I ENFANTS
Remarqué pour ses courts-métrages insolites, Jérôme Boivin prépare son premier long-métrage avec le producteur Patrick Godeau et le scénariste Jacques Audiard (fils du célèbre Michel et pas encore porté aux nues par ses propres films). Le projet est celui d’un thriller assez classique que Boivin espère consteller de touches personnelles, mais notre homme découvre entretemps le roman « Des tueurs pas comme les autres » de Ken Greenhall. Ce livre le fascine littéralement. Même s’il est publié dans la collection « Série Noire », il sort du cadre des polars édités habituellement dans cette série et ne se rattache à vrai dire à aucun genre connu. Si le récit tourne autour de deux assassins en puissance, comme l’indique le titre, ces derniers échappent en effet aux conventions du genre puisqu’il s’agit d’un chien et d’un petit garçon. Séduit par la plume de Ken Greenhall, Jérôme Boivin parvient à convaincre Godeau et Audiard de laisser tomber leur film policier pour se lancer dans l’adaptation du roman. Ce sera Baxter. Le projet est risqué, le budget ridicule, les acteurs peu connus, mais le pari est lancé. A la recherche d’un cadre européen qui ne soit pas la France mais y ressemble, le réalisateur opte pour la Belgique et y installe sa petite équipe.
« Méfiez-vous du chien qui pense… » : telle était la phrase d’accroche de Baxter au moment de sa sortie. Non seulement il pense, mais en plus il parle, du moins en voix-off, racontant tout au long du film ses états d’âme, ses envies et ses besoins. Baxter est un bull-terrier blanc, qui garde un souvenir flou mais visiblement pénible de son séjour dans un chenil. A travers trois expériences successives, il va découvrir et analyser les humains, leur comportement, leur mode de fonctionnement et leurs faiblesses. Sa première maîtresse est une vieille femme, qui accepte ce cadeau de sa fille à contrecœur et s’habitue comme elle peut à cette bête qui vit assez mal ce séjour en territoire hostile. Leur cohabitation se terminera mal. Baxter atterrit ensuite chez les voisins d’en face, un jeune couple qui fait l’amour du matin au soir jusqu’à la naissance de leur bébé. Ce petit rival ne sera pas du goût de Baxter… Le troisième foyer qui l’accueille est celui du petit Charles et de ses parents. Charles est solitaire, secret, taciturne, et se met à développer une fascination croissante pour hitler. Quand on est un chien aussi intelligent et dangereux que Baxter, avoir comme maître une graine de nazi ne peut qu’aboutir à une situation dramatique…
« N’obéissez jamais »
La photogénie atypique du bull-terrier (interprété à l’écran par plusieurs chiens), la voix éraillée de Maxime Leroux qui prononce ses pensées à voix haute (après que la production ait fait des tentatives infructueuses avec un enfant et même avec Michael Lonsdale) et la mise en scène minimaliste de Jérôme Boivin contribuent à l’étrangeté inconfortable de ce film résolument non conventionnel, partagé entre la comédie, le drame et l’horreur sans se positionner ouvertement dans la case d’un genre à part entière. En ce sens, Baxter se place dans la droite lignée du matériau littéraire qui l’inspire. Quand on étudie de plus près la trame du film, on constate qu’il avance en quelque sorte à rebours. Car au fil de ses maîtres successifs, Baxter découvre d’abord la vieillesse, puis l’âge adulte et enfin l’aube de l’adolescence. Ainsi, après l’aigreur et l’insouciance, il se frotte à un âge où la distinction entre le bien et le mal reste encore à faire. Car Charles, son petit maître aux idées sombres, est-il maléfique ? Ne s’intéresse-t-il pas au couple hitler-braun comme un entomologiste décortiquerait des insectes ? Le chien lui-même est-il intrinsèquement mauvais ? Certes, ses instincts meurtriers ne sont pas à prouver, mais la distanciation et la froideur avec lesquelles il observe chaque situation semblent le placer au-dessus de toute considération manichéenne. Tous deux sont dépourvus d’empathie, de capacité d’amour ou de haine. Le spectateur les déteste et s’attache à eux en même temps, ce qui rend leur confrontation finale si difficile à endurer. Comment se positionner moralement dans un univers où finalement personne n’attire la sympathie ? C’est finalement la phrase finale du chien, « n’obéissez jamais », qui semble être la clé de cette analyse sans appel de la nature humaine et de ses rapports de force souvent faussés.
© Gilles Penso
Partagez cet article