Patrick Dewaere incarne le premier cobaye humain d’une expérience visant à éradiquer définitivement toutes les idées noires
PARADIS POUR TOUS
1982 – FRANCE
Réalisé par Alain Jessua
Avec Patrick Dewaere, Jacques Dutronc, Fanny Cottençon, Stéphane Audran, Philippe Léotard, Patrice Kerbrat, André Thorent, Stéphane Bouy
THEMA MÉDECINE EN FOLIE
Le sixième long-métrage d’Alain Jessua suscite le malaise. C’est une comédie dont chaque trait d’humour est désespéré, un drame qui baigne dans un second degré cynique, un film de science-fiction qui nous renvoie au visage nos propres névroses. Et c’est surtout une œuvre maudite. Un mois avant sa sortie, son acteur principal se donnait la mort. Or le scénario de Paradis pour tous s’intéresse de près au mal-être, à la dépression et au suicide. Jessua se serait-il dangereusement emparé des fêlures de sa star pour élaborer son film ? L’acteur aurait-il été trop profondément marqué par son rôle au point de laisser la réalité et la fiction se brouiller ? Tout ceci n’est-il qu’une macabre coïncidence ? A vrai dire, les sombres états d’âme de Patrick Dewaere sont bien antérieurs à Paradis pour tous et sa fragilité émotionnelle n’a pas attendu Jessua pour s’exprimer. Mais ce jeu de miroir entre la vraie vie et le monde du cinéma a provoqué un désarroi durable dont le film fut la première victime collatérale.
Lorsque Paradis pour tous commence, Dewaere nous apparaît cloué sur un fauteuil roulant mais serein, souriant, paisible. Dans le rôle de l’agent d’assurance Alain Durieux, il évolue joyeusement dans l’espace lumineux de sa luxueuse maison, puis pose un œil attendri sur son épouse nue (Fanny Cottençon) qui fait l’amour avec son médecin le docteur Valois (Jacques Dutronc). La situation est insolite, soulignée par la voix off de notre protagoniste résumant en quelques mots sa philosophie : se concentrer sur ce qu’on a, pas sur ce qu’on n’a pas. Mais un flash-back nous montre qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Frustré et déprimé par un métier auquel il ne croit pas, Alain nous y apparaît au bout du rouleau, au point de se hisser sur le toit de l’immeuble de la compagnie qui l’emploie et de se jeter dans le vide. Mais le suicide rate, et le docteur Valois prend les choses en main. Son rêve semble utopique : guérir l’humanité de ses angoisses. Dans ce but, il a mis au point une technique révolutionnaire, baptisée le flashage, qui consiste à irradier une partie du cerveau pour supprimer toutes les idées noires. Après une expérience réussie sur un singe, Alain accepte d’être le premier cobaye humain. Le changement est radical. Désormais invariablement heureux, il réussit tout ce qu’il entreprend en conservant une humeur égale. Mais des effets secondaires inattendus ne tardent pas à se répercuter sur son entourage, notamment sa femme et son collègue de travail Marc (Philippe Léotard).
La rançon du bonheur
Si la grande majorité des longs-métrages d’Alain Jessua intègrent des éléments fantastiques, c’est moins par amour du genre que pour traduire à travers le prisme de la fantasmagorie les travers d’un monde malade et d’une société à la dérive. Paradis pour tous n’est d’ailleurs pas sans évoquer Traitement de choc, autre comédie dramatique médicale largement teintée de science-fiction et d’épouvante. Ici, l’interrogation est finalement assez simple : le bonheur est-il souhaitable à tout prix ? Faut-il aspirer à une euphorie permanente au risque d’en oublier sa propre personnalité, ses goûts, ses aspirations, son âme ? Tous ces « flashés » – car Alain Durieux n’est que le premier d’une série de cobayes – n’ont-ils pas fini par perdre leur humanité pour se muer en robots lisses et fades en tout point semblables aux personnages des spots de publicité dont ils récitent désormais par cœur les dialogues et les chansons ? « Vous êtes un monstre bien sympathique, mais un monstre quand même », finira par dire Jacques Dutronc à Patrick Dewaere, conscient que son expérience est en train de mal tourner. C’est le lot de tous les Prométhées modernes. D’ailleurs, dès son film suivant, Alain Jessua s’emparera frontalement du mythe créé par Mary Shelley dans son Frankenstein 90.
© Gilles Penso
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