Le réalisateur de Mama nous offre une relecture très réussie d’un des romans les plus populaires de Stephen King
IT
2017 – USA
Réalisé par Andres Muschietti
Avec Bill Skarsgard, Jaeden Lieberher, Jeremy Ray Taylor, Sophia Lillis, Finn Wolfhard, Wyatt Oleff, Chosen Jacobs, Nicholas Hamilton, Jack Dylan Glazer
THEMA DIABLE ET DEMONS I SAGA STEPHEN KING
Sorti en librairies en 1986 et propulsé dès sa publication au sommet de la liste des best-sellers de la décennie, “Ça“ est l’un des romans les plus appréciés de Stephen King. Toutes les obsessions de l’écrivain, toutes les thématiques qui lui sont chères et bon nombre d’éléments autobiographiques s’y croisent au sein d’un récit complexe déployé sur plus de mille pages. Quatre ans après sa publication, le réalisateur Tommy Lee Wallace en tire un long téléfilm en deux parties donnant la vedette à Tim Curry dans le rôle du clown Pennywise. Le public dans sa grande majorité apprécie cette adaptation et la cite aujourd’hui encore comme une référence. Gagner une nouvelle fois la cause des spectateurs à travers une autre version filmée de “Ça“ n’était donc pas acquis. Le réalisateur Andres Muschietti, dont nous étions sans nouvelles depuis Mama, s’est pourtant emparé du roman fleuve de Stephen King pour en livrer sa propre interprétation. Or non content de réinventer le texte de King dont il bouleverse le contexte temporel, ce nouveau Ça parvient à surpasser son modèle télévisé dont il prend la relève exactement 27 ans plus tard.
Or c’est justement tous les 27 ans que le monstrueux clown Pennywise, figure centrale du récit, sort de son « hibernation » pour revenir semer la terreur dans la petite ville de Derry, ravivant les cauchemars les plus intimes des enfants pour mieux se nourrir de leur peur… puis de leur chair. Ce qui ressemble à une judicieuse opération marketing est en réalité le fruit du hasard. Ce nouveau Ça était en effet censé sortir plus tôt mais le réalisateur initialement prévu, Cary Fukunaga, par ailleurs auteur du scénario du film, quitta le fauteuil du metteur en scène, incapable de s’entendre artistiquement avec la production. Ce phénomène de désistement de dernière minute – fréquent à Hollywood – est rarement bon signe. Appelé à la rescousse par les producteurs, Muschietti saute sur l’occasion. C’est pour lui la possibilité de sortir enfin de quatre années de mutisme cinématographique et de rendre hommage à l’un de ses écrivains favoris. Mais il fixe ses conditions : même s’il s’agit d’un film de studio, Ça bénéficiera de sa vision personnelle, de son perfectionnisme extrême et de ses goûts artistiques très affirmés. En bref, ce sera quasiment un film d’auteur. Ses exigences étant satisfaites, sa liberté d’action étant assurée, Muschietti retourne aux sources du texte initial, tourne volontairement le dos au téléfilm de Tommy Lee Wallace pour éviter toute comparaison et nous offre ce qu’il n’est pas exagéré de considérer comme l’un des meilleurs films d’horreur de son époque. D’ailleurs, le terme de « film d’horreur » est sans doute réducteur, car Ça, à l’instar du livre dont il s’inspire, sollicite de très nombreuses émotions, la peur se mêlant aux rires et aux larmes… Bien sûr, le long-métrage réserve à ses spectateurs son lot de séquences éprouvantes et de frissons glacés. Mais ses mécanismes de terreur s’appuient bien moins sur les « jump scares » que sur l’établissement progressif d’un climat oppressant. Les frayeurs des jeunes protagonistes contaminent celles des spectateurs, d’autant que les exactions surnaturelles du clown Pennywise se mêlent à celles – beaucoup plus tangibles – de certains habitants de Derry.
Le clown de la terreur
Motif récurrent de l’œuvre de Stephen King, la monstruosité se masque souvent derrière une apparence de normalité. Chez plusieurs habitants bien-pensants de Derry se cachent ainsi des pulsions fort peu avouables : la violence, le goût du sang, le racisme, la pédophilie… Le parcours du combattant des jeunes protagonistes de Ça, auto-proclammés « club des ratés », se mue ainsi en voyage initiatique qui n’est pas sans évoquer une autre adaptation de Stephen King, le remarquable Stand By Me de Rob Reiner. La relocalisation de l’intrigue dans les années 80 – au lieu des années 50 du roman – n’y est pas pour rien. Muschietti aurait pu tomber dans les travers d’un hommage appuyé à la pop culture de cette époque, riche en clins d’œil adressés aux cinéphiles bercés par les productions Amblin. Mais il n’en est rien. Certes, la chambre du jeune Billy s’orne des posters de Gremlins et Beetlejuice, le cinéma du coin projette L’Arme fatale, Batman et Freddy 5, mais il s’agit avant tout d’une toile de fond permettant de crédibiliser le contexte de l’intrigue. Tous les choix artistiques ayant présidé à la création de ce nouveau Ça font mouche. La photographie de Chung Chung-hoon (Old Boy) est superbe, la musique de Benjamin Wallfisch (A Cure for Life) magnifique et les jeunes comédiens rivalisent de charme et de naturel. Bill Skarsgard, quant à lui, nous offre une prestation extrêmement impressionnante de Pennywise : immense, dégingandé, le regard faussement candide, les dents proéminentes, le maquillage outrancier, il s’éloigne volontairement de la prestation de Tim Curry pour mieux désarçonner les spectateurs. Le gigantesque succès au box-office de ce prodigieux « premier acte » a logiquement enclenché la mise en production d’un second épisode centré sur la suite de l’affrontement du clown Pennywise avec les membres du « club des ratés » devenus adultes.
© Gilles Penso
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