Mort dans un accident de voiture, un jeune homme revient errer sous forme de fantôme dans la maison où il vécut avec sa compagne…
A GHOST STORY
2017 – USA
Réalisé par David Lowery
Avec Casey Affleck, Rooney Mara, Will Oldham, Sonia Acevedo, Rob Zabrecky, Liz Franke, Grover Coulson, Kenneisha Thompson
THEMA FANTÔMES
En quelques films, David Lowery s’est imposé comme une figure majeure du cinéma indépendant américain, au point d’attirer la curiosité des grands studios. En 2016, Disney le contacte ainsi pour signer un remake à gros budget de Peter et Elliott. Pas mécontent de cette expérience hollywoodienne, le cinéaste texan décide cependant de revenir à ses premières amours en imaginant une histoire de fantômes atypique. Le scénario de trente pages qu’il rédige pour A Ghost Story semble à priori plus taillé pour un court que pour un long-métrage et les dialogues sont réduits à leur plus simple expression. Pourtant, Rooney Mara et Casey Affleck acceptent sans hésiter la proposition de jouer dans cette production intimiste, rassurés par l’expérience commune qu’ils eurent avec David Lowery sur Les Amants du Texas. Le cinéaste n’est pourtant pas totalement sûr de son coup. Certes, l’idée de donner à un fantôme l’apparence d’un drap percé de deux trous est poétique et délicieusement naïve, fidèle à l’imagerie traditionnelle véhiculée depuis toujours. Mais Lowery craint que ce concept simple, selon lequel l’image iconique que l’on se fait d’un fantôme soit littéralement conforme à la réalité, ne donne un résultat totalement ridicule à l’écran. Il empoche donc le chèque que Disney lui a donné après Peter et Elliott, finance seul son film et part tourner avec une équipe réduite, quasiment sous le sceau secret.
Rooney Mara et Casey Affleck incarnent un couple tranquillement installé dans une petite maison au fin fond du Texas. Ils coulent des jours heureux, jusqu’au jour où un accident de voiture fatal ne transforme la jeune femme en veuve. Refusant toute sur-dramatisation, David Lowery filme la catastrophe avec une sobriété surprenante : d’abord un plan fixe sur la maison, puis quelques volutes de fumée qui passent à l’avant-plan, un lent panoramique horizontal vers la droite, et enfin le tableau tragique de deux voitures encastrées l’une dans l’autre. Le cinéaste poursuit ses expérimentations à la morgue où l’endeuillée reconnaît le corps du défunt, repose le drap sur son visage puis sort du champ. Mais la caméra ne bouge pas, reste désespérément fixée sur ce lit où repose le corps inerte… Jusqu’à ce que le drap se soulève lentement. Le mort vient de se muer sous nos yeux en fantôme. La silhouette drapée erre dans l’hôpital, puis dans la campagne, et enfin dans la demeure qui fut la sienne. Sous son enveloppe blanche, il devient le témoin muet de la vie qui s’écoule et des jours qui s’égrènent. Et pour mieux traduire l’emprisonnement de son protagoniste dans un espace-temps clos, Lowery opte pour un format d’image désuet et quelque peu déstabilisant : une image carrée aux bords arrondis. Le film prend ainsi les allures d’une projection de diapositives, ou du feuilletage d’un vieil album photo. En tournant effrontément le dos au cinémascope et aux écrans larges, le réalisateur laisse le sujet de son film en contaminer la forme. Ce 4/3 d’un autre âge évoque non seulement la claustrophobie mais aussi une certaine nostalgie.
Prisonnier du temps
L’atemporalité étant au cœur de A Ghost Story, Lowery fait d’autres choix de mise en scène radicaux. Puisque le temps s’étire interminablement sous les yeux vides de ce fantôme désormais soustrait aux contraintes physiques, il doit en être de même pour les spectateurs. Le montage enchaîne ainsi plusieurs plans fixes excessivement longs, qui semblent presque conçus pour mettre le public à l’épreuve et tester ses capacités d’abandon. Personne n’oubliera ce plan-séquence de cinq minutes dans lequel Rooney Mara, assise par terre, engloutit une tarte entière, bouchée par bouchée, face à un fantôme inerte qu’elle ne voit pas. Cinq minutes longues, interminables, qui semblent durer des heures. Certains crieront au scandale, au gadget, à l’artificialité d’une mise en scène auteurisante élitiste. Bien sûr, avec un plan de ce type, ça passe ou ça casse. Lowery le sait, mais il tente le coup malgré tout. Comment mieux faire ressentir la monotonie languide d’une vie éternelle de fantôme qu’en nous figeant pendant quelques minutes dans un temps qui semble ne plus vouloir défiler ? Mélancolique, doux-amer, A Ghost Story frôle même l’épouvante lorsque le spectre, frustré et aigri, se transforme en poltergeist pour effrayer les habitants du lieu qu’il hante, triste prisonnier d’un temps qu’il ne maîtrise plus. Cet exercice de style à la lisière de l’hermétisme ne pouvait décemment pas plaire à tout le monde, mais les critiques du monde entier ont exulté haut et fort face à l’audace de David Lowery, le comparant même parfois à Stanley Kubrick ou Terrence Malick.
© Gilles Penso
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