Une variation fascinante sur le thème des univers artificiels, qui jette un pont entre les années 2000 naissantes et la fin des années 30
THE THIRTEENTH FLOOR
1999 – USA / ALLEMAGNE
Réalisé par Josef Rusnak
Avec Craig Bierko, Dennis Haysbert, Gretchen Mol, Josef Rusnak, Vincent D’Onofrio, Armin Mueller-Stahl
Publié en 1964, le roman de science-fiction « Simulacron 3 » de Daniel Galouye était précurseur dans la description des univers virtuels, anticipant avec des décennies d’avance un phénomène qui n’était alors que pure spéculation. Une première adaptation du récit fut réalisée en 1973 par R. W. Fassbender, sous forme d’un téléfilm titré en français Le Monde sur le fil. A l’aube des années 2000, le studio Columbia et le producteur Roland Emmerich décident de s’associer pour se lancer dans une nouvelle transposition du livre de Galouye, destinée cette fois au grand écran. Cédant la mise en scène à Josef Rusnak, qui fut son réalisateur de deuxième équipe sur Godzilla, Emmerich met à la disposition du film les moyens de sa compagnie Centropolis, et notamment le département effets visuels que supervise à cette occasion Joe Bauer (vétéran des séries Star Trek la nouvelle génération et Star Trek Voyager). Contrairement à ce qu’on aurait pu craindre, The Thirteenth Floor (que les distributeurs français « traduisirent » trivialement par Passé virtuel) n’est pas un blockbuster balourd dans l’esprit des superproductions ampoulées du Emmerich post-Independence Day mais une sorte de film noir à cheval entre deux époques, nimbé d’une élégance et d’un charme inattendus.
Le treizième étage du titre original est celui d’un immeuble où siège le laboratoire d’expérimentation mis au point par le richissime génie de l’informatique Hannon Fuller (Armin Mueller-Stahl). Tous ses efforts se sont concentrés sur la création d’un programme imitant à la perfection le Los Angeles de 1937, celui de son enfance. Nostalgique, il s’y plonge souvent, satisfaisant sa nostalgie mais aussi quelques fantasmes liés à la présence de jeune est jolies danseuses peuplant un des luxueux établissements de la ville. Mais au fil de ses errances dans ces années trente factices, il fait une découverte bouleversante qu’il souhaite communiquer à son associé Douglas Hall (Craig Bierko). En revenant dans son époque, Fuller est assassiné dans la pénombre d’une ruelle. La police se met aussitôt à soupçonner Douglas, que tous les indices semblent désigner comme coupable idéal. Pour se disculper et comprendre la nature des informations que son défunt associé souhaitait partager avec lui, il décide de plonger dans le Los Angeles virtuel de 1937 et d’y enquêter. Or voilà que surgit de nulle part June Fuller (Gretchen Mol) qui se présente comme la fille du savant assassiné et qui s’apprête à prendre la tête de la société pour pouvoir la liquider…
Les personnages virtuels ont-ils une âme ?
Sans artifices ni poudre aux yeux, Passé virtuel parvient à tendre un pont entre le futurisme des années 2000 naissantes et la fin des années 30, nimbée alors dans une fragile insouciance loin des proches tourments de la guerre. A ce titre, il faut saluer le remarquable travail effectué sur cette reconstitution d’époque, qui n’est pas sans évoquer le charme rétro d’un Rocketeer. Au diapason, le compositeur Harald Kloser, pas encore formaté par le modèle « hanszimmerien » que lui dicteront ses participations aux futurs films de Roland Emmerich (Le Jour d’après, 10 000, 2012, Independence Day : Resurgence, Midway), fait osciller sa bande originale entre les sonorités jazzy joliment désuètes, les envolées symphoniques qui évoquent celles de David Arnold sur Stargate ou les violons romantico-troubles à mi-chemin entre Bernard Herrmann et Pino Donaggio. Craig Bierko s’affirme comme un héros très charismatique, Gretchen Mol est l’archétype idéal de la femme fatale des films noirs, Armin Mueller-Stahl nous touche en vieux génie prisonnier de ses propres rêves, mais c’est surtout Vincent d’Onofrio qui crève l’écran, même si sa prestation reste cantonnée à l’arrière-plan. Dans le double rôle d’un programmateur geek maladroit des années 2000 et d’un barman agressif des années 30, le futur Winston Fisk de la série Daredevil marque chacune de ses scènes d’une patte indélébile. Le film s’appréhende comme une énigme dont les pièces du puzzle s’assemblent peu à peu. Plus l’enquête avance, plus la frontière entre le réel et le virtuel s’estompe jusqu’à disparaître. Et l’inéluctable question finit par se poser : les personnages factices conçus pour animer les mondes virtuels et servir d’enveloppe provisoire aux visiteurs venus du monde réel n’ont-ils pas une âme et des sentiments qui leur sont propres ? Passé totalement inaperçu lors de sa sortie, en grande partie parce qu’il fut éclipsé par le phénomène Matrix, Passé virtuel mérite amplement d’être redécouvert et apprécié à sa juste valeur.
© Gilles Penso
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