Le réalisateur de Gomorra et Dogman revisite le célèbre conte de Collodi en confiant à Roberto Begnini le rôle du vénérable Gepetto
Voir Matteo Garrone aux commandes d’une nouvelle version du célèbre conte de Collodi peut à priori surprendre. Le réalisateur qui sut dépeindre avec autant de crudité le crime organisé napolitain (Gomorra) ou le quotidien des trafiquants de drogue (Dogman) était-il dans son élément avec cette fable pour enfants ? A vrai dire, Garrone est passionné par « Les Aventures de Pinocchio » depuis son plus jeune âge. A douze ans, il dessinait déjà des storyboards qui s’inspiraient de la prose de Collodi. Réaliser ce film était donc à ses yeux la concrétisation d’un vieux rêve, à condition bien sûr d’éliminer toute référence disneyenne pour revenir aux sources du texte original. De manière très symbolique, Gepetto est incarné par Roberto Benigni, qui avait réalisé sa propre version de Pinocchio en 2002 où il jouait lui-même le rôle du pantin en bois. Que l’enfant turbulent devienne son propre géniteur deux décennies plus tard ne manque pas d’ironie. La boucle est ainsi bouclée. Et si le réalisateur de La Vie est belle ne nous convainquait pas vraiment sous la défroque de Pinocchio, il nous émeut profondément sous le trait de ce vieil homme sans le sou peuplant sa solitude avec un fils artificiel qu’il construit à partir d’une bûche enchantée. Le grain de folie qui a toujours caractérisé le jeu de Benigni ne s’est pas évaporé, mais il est ici tempéré par une demi-mesure qui dote ce Gepetto d’une humanité très touchante. Drôle et triste à la fois, Benigni disparaît assez tôt de l’intrigue pour céder le pas aux mésaventures de sa marionnette, mais sa présence invisible continue de planer tout au long du film. Quoi de plus logique dans un récit qui s’articule autour de la quête du père ?
L’histoire est connue. Gepetto, pauvre charpentier toscan, grappille chaque jour de quoi grignoter chez les commerçants de son village. Un jour, il voit débarquer un théâtre de marionnettes en bois et décide d’en fabriquer une lui-même. Sa motivation première semble être de devenir un marionnettiste célèbre, de faire le tour du pays et de gagner de l’argent. Mais en réalité, il désire ardemment avoir un enfant. Or justement, l’un de ses voisins lui cède gratuitement une bûche qui semble animée d’une vie propre. Et c’est dans ce bois magique que Gepetto sculpte Pinocchio. Mais le fils modèle dont il rêvait doit d’abord faire l’apprentissage de la vie avant de devenir un enfant sage, quitte à rencontrer des voleurs, des assassins, des monstres et toutes sortes de créatures étranges… Car Pinocchio est avant tout un voyage initiatique, dont Matteo Garrone peuple chaque étape d’un bestiaire étonnant : le grillon moralisateur bien sûr, mais aussi une impressionnante femme-escargot, un renard et un chat criminels, un corbeau et une chouette médecins, un vieux chimpanzé juge, des lapins croque-morts, un cocher canin, un thon qui parle, une gigantesque baleine-requin… Si les effets numériques sont sollicités, ce n’est qu’en support d’un colossal travail de maquillage et de prothèses, le cinéaste préférant recourir aux effets spéciaux physiques réalisés en direct sur le plateau. Cette prouesse cosmétique est l’œuvre de Mark Coulier (déjà à l’œuvre sur Waxwork, Alien 3, World War Z ou encore la saga Harry Potter). Pinocchio lui-même est incarné par le jeune Federico Ielapi, huit ans, sous un incroyable maquillage nécessitant chaque jour trois heures de pose.
Entre réalisme et surréalisme
Finalement, le défaut principal de ce Pinocchio réside dans sa nature propre : tout le monde connaît déjà cette histoire, narrée maintes fois dans le passé, ce qui laisse peu de place à la surprise. Conscient de ce handicap, Matteo Garrone se distingue par une direction artistique très particulière, qui semble chercher le juste équilibre entre le réalisme (le village de Gepetto, la misère, la saleté y sont décrits avec un naturalisme palpable) et le surréalisme (notamment la folle sarabande des créatures qui jalonnent le parcours du jeune héros). En ce sens, cette version se rapproche de celle de Luigi Comencini, qui inscrivait elle aussi les éléments fantastiques dans un contexte crédible. On pourra reprocher à Garrone de na pas assez insister sur la critique sociale et le pamphlet satirique qui constituaient l’essence même du texte de Collodi, et que la plupart des autres adaptations ont éliminé. L’humour acerbe des séquences de l’instituteur ridicule aurait mérité de se déployer ailleurs dans le film. Mais ce Pinocchio demeure exceptionnel, porté par une mise en scène extrêmement soignée et un casting parfait, et se hissant sans conteste parmi les meilleures adaptations du conte.
© Gilles Penso
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