Une journaliste part enquêter sur une tête de forage, ignorant que son investigation va se muer en descente aux enfers
CUTTERHEAD
2018 – DANEMARK
Réalisé par Rasmus Kloster Bro
Avec Christine Sønderris, Kresimir Mikić, Samson Semere, Adrian Heili, Salvatore Striano, Lilli Fernanda Kondrup, Rasmus Hammerich
THEMA CATASTROPHES
Découvert lors de la onzième édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg où il rafla les deux plus grosses récompenses, l’Octopus d’Or décerné par le jury et le Prix du public, le premier long-métrage du jeune réalisateur danois Rasmus Kloster Bro aura mis deux ans à se frayer une place dans nos salles de cinéma, mais l’attente valait la peine. En effet, l’expérience de claustrophobie ultime vécue lors du visionnage de ce « film catastrophe intimiste » ne trouve pleinement son sens que si elle est vécue dans une salle obscure. L’efficacité d’Exit est d’autant plus remarquable que ses moyens sont extrêmement limités et que son instigateur fait ici ses premiers pas derrière la caméra. Le postulat est réduit à sa plus simple expression. Une journaliste (Christine Sonderris) se mêle à un groupe de techniciens œuvrant sur une tête de forage pour les photographier et recueillir leurs impressions. Pour y parvenir, elle doit entrer en immersion avec cette équipe exclusivement masculine et plonger dans les entrailles de la terre. Tout se passe bien jusqu’à ce qu’un accident imprévu l’enferme dans un sas de décompression avec deux ouvriers. A partir de là, l’enquête d’investigation se transforme en parcours du combattant cauchemardesque…
Exit puise sa force dans l’extrême réalisme de son approche, non seulement du point de vue de sa mise en scène (le spectateur ressent presque physiquement la claustrophobie, le vertige, la peur panique, l’inconfort extrême de la décompression) mais aussi des réactions de ses personnages. Le manichéisme et l’héroïsme n’ont pas leur place dans ce récit minimaliste où les instincts les plus primaires s’éveillent alors que la survie ne tient plus qu’à un fil. Empruntant le langage filmique du documentaire, Rasmus Kloster Bro prend conseil auprès de véritables techniciens de construction – dont certains apparaissent même dans le film en jouant leur propre rôle – et laisse place à l’improvisation pour capter le naturalisme qui donne à Exit tout son sel. Dans ce but, il travaille de près avec la comédienne Christine Sønderris, pôle d’identification immédiat des spectateurs et seul élément féminin du casting, bien que cette dernière composante soit quasiment accessoire aux yeux du cinéaste. « C’est le tempérament et le caractère de Christine qui m’ont donné envie de tourner avec elle, plus que le fait qu’il s’agisse d’une femme », confesse-t-il. « Je plaisantais d’ailleurs avec elle en lui disant que je l’aurais choisie même si elle avait été un homme ! » (1)
Le point de non-retour
Exit s’apprécie donc au maximum de son potentiel dans une salle pleine de spectateurs. En effet, pour reprendre directement les termes de Rasmus Kloster Bro, « il a été conçu comme une expérience collective » (2). Tout le monde retient son souffle en même temps, cale sa respiration sur celle de l’héroïne, essayant collectivement de percer l’obscurité du regard pour savoir ce qu’elle cache. La magie du cinéma opère alors dans toute sa splendeur. Le réalisateur décrit son film en ces termes : « c’est un survival claustrophobique, un film catastrophe à petite échelle, qui n’est donc pas du tout comparable avec ses homologues américains. » (3) Et de fait, au lieu des centaines de personnages de mise dans les superproductions cataclysmiques financées par les grands studios hollywoodiens, Exit ramène progressivement ses protagonistes au nombre d’une toute petite poignée, resserrant inexorablement son récit jusqu’au point de non-retour. Savoir que cette descente aux enfers ultra-réaliste a été en réalité filmée sur un minuscule site en construction à deux pas de la maison du réalisateur ne rend son visionnage que plus fascinant.
(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2018
© Gilles Penso
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