

« Peut-être est-on les fourmis de quelque géant invisible. »
(Marc Gendron, Les espaces glissants)
Depuis les premiers récits mythologiques, l’idée d’êtres minuscules ou gigantesques fascine l’humanité. Des contes de fées aux légendes antiques, ces variations d’échelle incarnent tantôt la puissance colossale, tantôt la vulnérabilité extrême. Les récits grecs évoquent les Géants et les Cyclopes, tandis que la mythologie nordique parle des Jotunns, ces créatures titanesques opposées aux dieux d’Asgard. Quant aux contes populaires, ils regorgent de géants terrifiants et de petits êtres malicieux. Au cinéma, la miniaturisation et le gigantisme incarnent la dualité entre l’infiniment petit et l’immensément grand, permettant de jouer avec les échelles pour interroger la place de l’homme dans l’univers et sa vulnérabilité face aux forces qui le dépassent. Le thème de la miniaturisation repose souvent sur l’idée de perte de contrôle ou d’accident scientifique. Dès 1957, L’Homme qui rétrécit de Jack Arnold, adapté du roman de Richard Matheson, expose l’angoisse existentielle d’un homme réduit à la taille d’un insecte après une exposition à des radiations. Le Voyage fantastique de Richard Fleischer emprunte une autre voie en miniaturisant un sous-marin et son équipage pour une mission médicale à l’intérieur du corps humain. Des variantes de ces deux classiques écloront dans les années 80, comme Chérie, j’ai rétréci les gosses et L’Aventure intérieure qui explorent la dimension comique de la miniaturisation.
À l’opposé, le gigantisme se décline souvent sous la forme de mutations ou de transformations spectaculaires, exprimant la peur de la démesure et de la perte d’humanité. Attack of the 50-Foot Woman de Nathan Juran montre une femme transformée en géante après une rencontre extraterrestre, symbole d’une revanche féminine dévastatrice. Le Fantastique Homme Colosse de Bert I. Gordon explore les conséquences tragiques de la croissance incontrôlable d’un homme exposé à des radiations, un sort qui devient une véritable malédiction. Le même Gordon récidive avec Le Village des Géants, où des adolescents deviennent des colosses suite à l’absorption d’un produit chimique, perturbant l’équilibre d’une petite ville américaine.
Parfois, les deux thèmes se mêlent dans un même récit, offrant une confrontation entre les mondes du minuscule et du gigantesque. Le plus emblématique de ces récits demeure Les Voyages de Gulliver (1726) de Jonathan Swift. Le contraste entre les Lilliputiens, peuple minuscule, et les géants de Brobdingnag permet d’explorer l’arrogance humaine et la relativité de la puissance. Qu’ils explorent l’angoisse existentielle ou la comédie débridée, ces récits de miniaturisation et de gigantisme offrent aux cinéastes l’opportunité de réinventer les perspectives, de jouer avec les proportions et de confronter l’humain à sa propre fragilité. Derrière le spectaculaire et les effets spéciaux se dessine une réflexion sur la condition humaine, tiraillée entre sa quête de domination et sa peur de l’insignifiance.
© Gilles Penso
FILMS CHRONIQUÉS
1912: À la conquête du Pôle de Georges Méliès
1936: Les Poupées du Diable de Tod Browning
1940: Docteur Cyclope d’Ernest B. Schoedsack
1957: L’Homme invisible contre la mouche humaine de Mitsuo Murayama
1957: L’homme qui rétrécit de Jack Arnold
1957: Le Cyclope de Bert I. Gordon
1957: Le Fantastique homme colosse de Bert I. Gordon
1958: Attack of the 50 Foot Woman de Nathan Juran
1958: Les Aventures de Tom Pouce de George Pal
1958: Le Retour de l’homme colosse de Bert I. Gordon
1958: La Révolte des poupées de Bert I. Gordon
1959: Darby O’Gill et les farfadets de Robert Stevenson
1959: Lou Costello et la blonde de Sidney Miller
1960: Les Voyages de Gulliver de Jack Sher
1965: Help ! de Richard Lester
1965: Le Village des géants de Bert I. Gordon
1966: Le Voyage Fantastique de Richard Fleisher
1981: Bandits Bandits de Terry Gilliam
1981: La Femme qui rétrécit de Joel Schumacher
1987: L’Aventure intérieure de Joe Dante
1989: Chérie, j’ai rétréci les gosses de Joe Johnston
1991: Dollman d’Albert Pyun
1992: Bad Channels de Ted Nicolaou
1992: Chérie, j’ai agrandi le bébé de Randal Kleiser
1993: L’Attaque de la femme de 50 pieds de Christopher Guest
1993: Dollman vs. Demonic Toys de Charles Band
1994: Jack et le haricot magique de Michael Davis
1995: L’Attaque de la pin-up géante de Fred Olen Ray
1996: Josh Kirby… Time Warrior! chapitre 6: Last Battle for the Universe de Frank Arnold
1996: Les Voyages de Gulliver de Charles Sturridge
1997: Chérie, nous avons été rétrécis de Dean Cundey
1997: Le Petit monde des Borrowers de Peter Hewitt
1998: Shandar, la cité miniature de Ted Nicolaou
1999: Shapeshifter de Philip Browning
2010: Les Voyages de Gulliver de Rob Letterman
2015: Ant-Man de Peyton Reed
2016: Le Bon Gros Géant de Steven Spielberg
2017: Downsizing d’Alexander Payne
2018: Ant-Man et la Guêpe de Peyton Reed
2019: Hellboy de Neil Marshall
2021: The Green Knight de David Lowery
2022: Black Adam de Jaume Collet-Serra
2023: Ant-Man et la Guêpe Quantumania de Peyton Reed
2024: Love Lies Bleeding de Rose Glass