Le premier film d'horreur de l'histoire du cinéma chinois est une relecture politisée du Fantôme de l'Opéra
YE BAN GE SHENG
1937 – CHINE
Réalisé par Ma-Xu Weibang
Avec Menghe Gu, Ping Hu, Shan Jin, Chau-shui Yee, Wendzhu Zhou
THEMA SUPER-VILAINS
Considérée comme le premier film d’horreur de l’histoire du cinéma chinois, cette tragédie constellée d’épouvante adapte officieusement « Le Fantôme de l’Opéra » de Gaston Leroux pour réinventer une histoire originale et y injecter un fort sous-texte politique. Au commencement du métrage, une troupe d’opéra itinérante traverse la forêt la nuit en quête d’un hôtel. Ils s’installent dans un théâtre de province guère engageant où pendent des mannequins macabres et où les toiles d’araignées se déploient. Aussitôt, le cinéphile aguerri pense à l’esthétique de deux œuvres maîtresses de Tod Browning : Dracula et La Marque du Vampire. La troupe s’apprête à réadapter son opéra à la culture locale, et le jeune Sun Xiao-Ou tiendra le rôle principal. Resté seul sur scène pour s’exercer, ce dernier découvre, terré dans son antre, un personnage inquiétant recouvert d’une grande capuche noire qui accepte de lui donner des cours de chant.
Un flash-back nous raconte alors son histoire mouvementée et tragique. Nous le découvrons jeune homme, alors qu’il quitte sa maison pour devenir révolutionnaire et combattre l’oppression. Il change de nom et devient un chanteur célèbre, prônant la lutte contre l’asservissement. Au faîte de sa gloire, il tombe amoureux de Xia, la fille d’une famille puissante. Aussitôt, notre artiste se retrouve kidnappé et battu par des membres du cartel local, puis de l’acide est jeté sur son visage et ses mains. Plus mort que vivant, il est recueilli dans un bien piteux état par sa propre famille, la peau recouverte de bandages. Si son corps a partiellement survécu, que reste-t-il de son âme ? Il contemple alors en même temps que le spectateur l’atroce spectacle qu’est devenu son reflet dans le miroir : un visage monstrueusement défiguré, un masque de terreur difforme et grimaçant, par l’entremise d’un maquillage spécial particulièrement réussi. Désormais, il hante ce vieux théâtre délabré et chante tous les soirs pour réconforter sa pauvre bien-aimée, qui l’écoute depuis son balcon dans un état second.
Le froid glacial d'un tombeau
Serti dans une magnifique photographie noir et blanc, Le Chant de Minuit emploie toutes sortes d’artifices de mise en scène pour distiller le malaise et l’épouvante, notamment les cadrages obliques déstabilisants, les longs silences ou cette buée sortant de la bouche des artistes pendant les répétitions comme pour évoquer le froid glacial d’un tombeau. La caméra, étonnamment mobile pour un film des années 30, exécute lors de séquences clefs des travellings audacieux qui semblent annoncer quelques effets de style de la trilogie Evil Dead. La musique jouant un rôle clef dans le film, le réalisateur Ma-Xu Weibang laisse beaucoup de place aux chansons interprétées par les personnages principaux, et détourne plusieurs morceaux puisés dans le répertoire classique, notamment « Une Nuit sur le Mont Chauve » de Moussorgsky pour accompagner la cavalcade du jeune révolutionnaire, « Rhapsody in Blue » de Gershwin pour évoquer la légèreté des mœurs de l’époque ou encore « L’Apprenti-Sorcier » de Dukas pour rythmer le climax mouvementé.
© Gilles Penso
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