L'une des adaptations les plus anciennes et les plus inventives de la célèbre nouvelle d'Edgar Poe
LA CHUTE DE LA MAISON USHER
1928 – FRANCE
Réalisé par Jean Epstein
Avec Jean Debucourt, Marguerite Gance, Charles Lamy, Fournez-Goffard, Luc Dartagnan, Pierre Hot
THEMA FANTÔMES
Classique du cinéma d’avant-garde des années 20, La Chute de la maison Usher adapte non seulement le roman homonyme d’Edgar Poe mais également un autre récit du génial auteur, « Le Portrait Ovale », publié en 1854. Incarné par Jean Debucourt, Roderick Usher a prié un de ses amis (Charles Lamy) de venir lui rendre visite dans sa grande demeure isolée au milieu des bois. En effet, son épouse Madeline (Marguerite Gance, femme d’Abel) souffre d’une maladie qui l’affaiblit terriblement, tandis qu’il tente désespérément de peindre son portrait. Ainsi, contrairement au texte initial, Roderick et Madeline ne sont plus un frère et une sœur aux sentiments réciproques complexes, mais plus sagement un couple marié. Plus Madeline s’éteint, plus le portrait semble prendre vie. Bientôt, Madeline meurt, et on l’enterre dans le mausolée voisin. Mais Roderick est soudain pris d’une grande angoisse : si Madeline n’était pas morte ? Si elle avait été enterrée vivante ? Il est bientôt assailli d’hallucinations diverses…
Cette Chute de la maison Usher surprend par ses audaces visuelles. Les cadrages, savamment composés, jouent fréquemment sur la profondeur de champ, la caméra est souvent mobile, offrant en particulier des travellings avant au ras du sol assez précurseurs, le découpage est souvent complexe, et la mise en scène s’avère très stylisée. La fameuse maison du titre est un vaste décor aux allures expressionnistes pour les intérieurs, et une maquette facilement détectable – ce qui n’ôte rien à son charme – pour les extérieurs. Par le biais de divers trucages, les décors se surimpressionnent en tremblant, le mobilier s’écroule au ralenti et la fumée envahit toutes choses. Assez étrangement, le portrait de Madeline tel que nous le montre Jean Epstein n’est jamais une peinture, mais un plan de l’actrice vue à travers un cadre ovale. D’où un troublant sentiment de réalisme et de vie animant le tableau. La séquence qui suit l’enterrement, dans laquelle le balancier de l’horloge va et vient au ralenti et où les cordes d’une guitare se cassent successivement, est assez mémorable, par la tension qu’elle réussit à générer, annonçant quelques effets de style de La Bête aux cinq doigts.
Une apothéose de destruction et de flammes purificatrices
Le film souffre en revanche d’un rythme trop lent, étirant exagérément la durée des séquences pour obtenir une durée globale de 55 minutes, d’une distribution peu éclatante (Marguerite Gance manquant de charme et Jean Debucourt d’expressivité), et d’une moralisation discutable du récit original. Car non content d’effacer toute trace gênante d’inceste – fut-il platonique – entre Roderick et Madeline, le scénario d’Epstein revisite les motivations de la bien aimée revenue d’entre les morts. De spectre vengeur assoiffé de destruction, Madeline se mue ainsi en entité rédemptrice animée par le désir de sauver son époux des flammes de l’enfer. Il est permis de penser que Luis Buñuel, assistant de Jean Epstein sur de nombreux films de l’époque, crut bon de réagir à cette « bondieuserie » en initiant les fort peu catholiques Un Chien andalou et L’Âge d’or. En toute logique, La Chute de la maison Usher s’achève dans une apothéose de destruction et de flammes purificatrices, au sein d’un effondrement final justifiant entièrement le titre.
© Gilles Penso
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