LA FORME DE L’EAU (2017)

Guillermo del Toro déclare une nouvelle fois son amour aux monstres à travers une relecture romantique de L'Étrange Créature du Lac Noir

THE SHAPE OF WATER

2017 – USA

Réalisé par Guillermo del Toro

Avec Sally Hawkins, Michael Shannon, Richard Jenkis, Doug Jones, Michael Stuhlbarg, Olivia Spencer

THEMA MONSTRES MARINS

Si la passion que Guillermo del Toro voue aux monstres du répertoire classique est notoire, son grand favori a toujours été L’Etrange Créature du Lac NoirL’homme-poisson mis en scène par Jack Arnold lui tient tellement à cœur qu’il lui a déjà rendu hommage à travers le personnage d’Abe Sapiens incarné par Doug Jones dans le diptyque Hellboy. Mais le cinéaste mexicain ne pouvait se contenter de ce clin d’œil. Pour déclarer une bonne fois pour toute sa flamme au « Gill Man » de son enfance, il lui fallait concocter une lettre d’amour digne de ce nom. Ainsi est né le projet de La Forme de l’eau. S’appuyant sur une idée initiale de l’écrivain Daniel Kraus, Del Toro écrit avec Vanessa Taylor le scénario de ce qui pourrait presque s’apparenter à une séquelle de L’Etrange Créature du Lac Noir. A la différence près qu’au lieu de mourir sous le feu des membres de l’expédition paléontologique venue la débusquer dans la jungle amazonienne, la créature a ici été ramenée pour être étudiée dans un centre de recherches gouvernemental de Baltimore sous haute surveillance. Femme de ménage dudit laboratoire, Elisa Esposito (Sally Hawkins) est orpheline, muette et solitaire, malgré l’amitié qu’elle a noué avec son voisin de palier Giles (Richard Jenkis) et avec sa collègue volubile Zelda (Octavia Spencer). 

Le jour où elle découvre l’existence du spécimen retenu prisonnier dans un bassin expérimental, Elisa s’émeut plus que de raison et se prend d’une affection irrationnelle pour la créature, comme si elle y voyait le reflet de sa propre solitude, elle-même se sentant à l’écart du reste de l’humanité. La curiosité se mue peu à peu en passion, et Del Toro peut dès lors tisser à loisir une variante humide sur le mythe séculaire de « La Belle et la Bête ». Le cinéaste ne se réfrène pas et semble animé d’une démarche sincère, osant le grand écart entre la comédie burlesque, les accès de violence brutaux, l’érotisme sans fard, la poésie surréaliste et même la comédie musicale. Mais tout semble se passer comme s’il ne parvenait pas à sortir de l’ombre de L’Etrange Créature du Lac Noir, comme s’il cherchait désespérément à retrouver ce moment de beauté brute au cours duquel le monstre de Jack Arnold nageait entre deux eaux dans son lac amazonien pour imiter les gracieux ébats aquatiques de Julie Adams. Une image féerique… mais apparemment hors d’atteinte.

Sous l'influence de Jean-Pierre Jeunet

La Forme de l’Eau est d’ailleurs le seul film de Del Toro qui semble autant puiser son inspiration ailleurs que dans l’imagination de son auteur. La patine rétro qui nimbe le quotidien d’Elisa est traitée sous l’influence manifeste du cinéma de Jean-Pierre Jeunet (on pense beaucoup à Delicatessen et à Amélie Poulain), référence accentuée par la musique exagérément nostalgique d’Alexandre Desplat, tandis que le lien qui unit la belle et la bête n’est pas sans évoquer les péripéties de Splash. La personnalité pourtant forte du cinéaste semble du coup se diluer dans ce tissus d’influences, et malgré les nombreux atouts du film (une créature magnifique conçue par Mike Hill et Shane Mahan, un méchant redoutable campé par Michael Shannon), le mélange des genres manque d’homogénéité et l’alchimie ne prend pas autant qu’elle le devrait.

 

© Gilles Penso

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