Réalisé juste après Chair pour Frankenstein, par le même metteur en scène et avec les mêmes acteurs principaux, Du Sang pour Dracula évacue quelque peu l’hystérie horrifico-parodique de son prédécesseur au profit de la satire douce-amère. Le plan d’ouverture du film, sur lequel défile le générique, donne d’emblée le ton : en gros plan, Udo Kier, à la beauté androgyne d’un David Bowie, se maquille pour donner un peu de vie à son visage terriblement pâle. Accompagné d’une mélancolique sonate au piano, il empourpre ses joues cadavériques, rougit ses lèvres blafardes et noircit ses cheveux grisonnants. Car ce Dracula est moribond, sur le point de succomber à une terrible maladie s’il ne trouve pas rapidement du sang de vierge à se mettre sous la dent. Or la denrée est devenue rare, en ces temps corrompus, et le voilà contraint de quitter son château transylvanien, avec son serviteur, pour un petit village italien, là où les mœurs dictées par une forte tradition catholique sauront probablement lui fournir le précieux liquide qui seul saura le guérir. Il s’installe donc chez une riche famille bourgeoise, constituée d’un noble, de sa femme et de leurs quatre filles, profitant de sa haute lignée pour mieux les berner. Hélas, le corps de la plupart des donzelles a déjà exulté sous les assauts répétés du beau serviteur de la famille (Joe d’Allesandro), volontiers enclin à initier les belles, pas farouches pour un sou, aux plaisirs de la chair.
Le véritable point commun entre Du Sang pour Dracula et Chair pour Frankenstein apparaît alors : une relecture désenchantée des mythes classiques de l’épouvante via un érotisme sans retenue et un traitement volontiers excessif de l’aspect horrifique. Ainsi, chaque fois que le malheureux comte vampire mord à belles dents le cou d’une jeune fille déjà déflorée, le voilà pris de crises violentes. Il hurle alors, s’agite en tous sens, et vomit des litres de sang dans la baignoire ou les WC les plus proches, avec force borborygmes peu ragoûtants. Le voilà alors contraint de lécher le sol, maculé du sang de la seule demoiselle restée vierge… Nous sommes bien loin de l’aplomb hautain de Christopher Lee ou de l’assurance théâtrale de Bela Lugosi. Ce Dracula est le plus pathétique et le plus souffreteux de tous, et l’on aurait volontiers tendance à le prendre en pitié.
Démembrement à coups de hache
Au moment du dénouement, l’excès et l’outrance du film précédent reprennent le dessus, car le serviteur zélé, ayant découvert les véritables intentions de Dracula, le poursuit à travers la vaste demeure, le démembre à grands coups de hache puis lui enfonce un pieu dans le cœur, débarrassant une bonne fois pour toute la population du chétif vampire, et inversant aux yeux du spectateur les rôles de monstre et de victime habituellement établis en pareil contexte. Cette très belle variante sur un mythe pourtant éculé nous laisse rêveur sur ce que Paul Morrissey et son équipe aurait pu faire s’ils s’étaient attaqués à d’autres grands classiques de l’épouvante.
© Gilles Penso
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